Par Hamma HANACHI Les téléspectateurs qui escomptaient, de la prestation du Président de l'ANC, une surprise ou des déclarations exclusives en ont été pour leurs frais. Dimanche 3, dans les décors somptueux, sous les lambris de l'Assemblée, Mustapha Ben Jaâfar, s'y trouvant dans son élément, reçoit trois journalistes télé de la Watania, Nessma, et Hannibal. Calme olympien, discours onctueux, pas de sel, réponses convenues, aucune offensive, pas de scoop, des réparties appropriées ou fuyantes, tirades soporifiques, pas d'indignation, bref, le même ton courtois, sans flottement. Parfait, impeccable, n'eut été le fossé qui sépare le discours de la réalité du pays. Fossé ? Plutôt un gouffre, un cratère entre l'exercice de la parole et le quotidien des citoyens. Faut-il y voir une mise en scène préparée à l'intention de ceux qui attendaient du président de l'ANC une position claire, courageuse vis-à-vis de ses coéquipiers du gouvernement? Faut-il conclure à une parade à l'adresse de ceux qui espèrent un sursaut pour dénoncer la mauvaise gestion de l'Etat, les errements de quelques ministres, son silence coupable face aux agissements des extrémistes religieux ? Vie chère, baisse du pouvoir d'achat, insécurité, grèves et sit-in, dérapages sécuritaires, agressions répétées contre des artistes, des journalistes ou à l'encontre de simples citoyens, des hommes d'affaires qui naviguent à vue, une politique sans cap. Un jour sans mauvaise nouvelle est miracle. Telle est la situation réelle du pays. Des intellectuels de haut rang ont même évoqué, exemples à l'appui, la menace d'une guerre civile ; d'un côté de la barricade, des salafistes omniprésents, expéditions punitives, agissant dans l'immunité, de l'autre côté, des représentants de la société civile, des hommes de culture ou des routiers en déplacement, victimes d'agression, seraient, faute d'application de la loi, tentés de se défendre, tel serait le scénario à craindre. Tout est pour le pire dans le plus inquiétant des mondes. -*-*-*-* L'état de notre Nation? Il faut tendre l'oreille, écouter la réponse accrochée sur toutes les lèvres des citoyens de toutes catégories sociales, la phrase tue «Nous allons droit dans le mur» déclinée sur un ton hargneux, en français, en arabe, l'année prochaine en turc? M. Ben Jaâfar affirme le contraire ; à ses yeux, le pays se redresse, le chômage baisse, il y a des chômeurs qui refusent le travail, il y a des tire-au-flanc, de faux chômeurs. Pendant plus d'un mois, la France a vécu un tsunami médiatique, les dirigeants politiques se justifiaient, les chefs d'opposition s'opposaient, les économistes s'inquiétaient, les analystes examinaient, les prospecteurs s'affolaient : l'Hexagone pourrait perdre son triple A ; péril, le pays est tourneboulé par la nouvelle. De ce côté de la Méditerranée, Standard and Poor's déclasse la note de la Tunisie, un coup très sérieux à notre économie. Qu'en pense M. Ben Jaâfar? "Actuellement, nous vivons dans un environnement défavorable, même les pays de l'Union européenne en pâtissent, la Grèce est en faillite, l'Espagne surendettée... Ce déclassement concerne l'année 2011, juste une éclaircie sécuritaire et l'économie partira d'un meilleur pied." L'art de noyer le poisson. L'image de la Tunisie est écornée, elle est peu reluisante, comment y remédier ? "Les journalistes y sont pour quelque chose même partiellement. Ils ne parlent que de grèves, de sit-in, dramatisent le phénomène salafiste, on n'est pas à Kandahar tout de même; avec un tableau pareil, comment voulez-vous que notre image soit brillante?" Réponse copiée sur ses alliés majoritaires au gouvernement. Il est vrai que les journalistes ne sont plus aux ordres et n'annoncent plus les trains qui arrivent à l'heure, provoquant la colère du gouvernement et de ses alliés de la Troïka qui, dans le triste ballet, font le pas de deux. -*-*-* Ettakatol a explosé, ses dirigeants contestés, la base quitte le navire, les causes de la scission? "C'est la rançon de la gloire, avant la révolution, j'ai dirigé un carré de militants, aujourd'hui nous sommes des milliers, ceux qui sont venus pour récolter les fruits de nos luttes ont vite déchanté." On ne peut mieux dire. Que penser de cette messe médiatique ? Que le président de l'Anc aimerait convaincre qu'il n'est pas le responsable complaisant qu'on croit, encore moins l'otage de la majorité au pouvoir et qu'il est l'homme qu'il faut pour le fauteuil qu'il occupe. De son côté, l'observateur juge que la comédie politique a trop duré, elle tourne au drame, alors que les Constituants se complaisent dans leur poste, débattant de tout, de rien quand ils ne sont pas absents, pour différer volontairement ce pourquoi ils ont été élus : la rédaction de la Constitution. La preuve ? Pas une ligne.