Il travaille le cuir dans sa boutique-atelier au village de l'artisanat à Den Den. Il fabrique des sacs, des portefeuilles, porte-monnaies, des babouches, des poufs, des éléments de bureau. Lui, c'est Chamseddine Ben Gharsallah, artisan spécialisé dans le cuir. «Jadis les corps de métier étaient organisés en corporations où, de père en fils, on se livrait les secrets du métier. On commençait très jeune la formation», se souvient-il. «Aujourd'hui, hélas, il est rare de voir dans les souks de jeunes apprentis sous l'œil vigilant de leur patron-maître, s'adonner à des travaux de ciselure de cuivre, de passementerie ou autres», regrette vivement Chamseddine. Grâce à une connaissance parfaite des techniques d'ornement du cuir, à savoir le gaufrage par presse, l'emboutissage, le perforage, la gravure et l'impression à la feuille d'or à chaud, notre artisan se distingue par un savoir-faire ancestral, outre une formation en tannage au Centre national du cuir et de la chaussure. L'artisan est nostalgique, se rappelle de naguère, de l'amine du souk, cette institution tombée en désuétude. Les souks ont ainsi perdu leur cohésion et les articles leur qualité. Dans sa boutique-atelier, tout respire l'ordre. L'artisan achète lui-même les peaux de mouton, chèvre ou vache au souk. Il fait réaliser les teintures en dehors de son atelier, mais coupe et coud le cuir dans celui-ci. De vieux outils, datant d'une époque révolue, sont exposés en vitrine, permettent de lire comme dans un livre ouvert l'histoire et la richesse de cet art qui connaît un regain d'activité. Les produits qu'il conçoit dans des poufs en cuir brodé, magnifiques, captent le regard du visiteur. «Le pouf en cuir est devenu le symbole de l'habitat du Maghreb. Il reste l'objet le plus vendu aux touristes. C'est un article cher au pays du jasmin», lance l'artisan sur un ton fier. Dans son atelier à l'arrière de la boutique, il y a une grande table avec toutes sortes de chutes de cuir, quelques tabourets, une machine à coudre et un petit établi avec enclume. Chamseddine avoue douloureusement qu'il a lui-même encouragé son fils à choisir une autre voie, «celle de ses pères ne peut plus le faire vivre», indique-t-il avec la dignité de l'héritier déshérité. Sa boutique regorge de poufs en cuir, seules les couleurs changent, quelques motifs aussi. Une nouvelle assise de sol en cuir, avec un savant pliage qui le rend peu encombrant, témoigne de la version contemporaine du pouf en cuir, objet phare de la culture et de l'art de vivre tunisien. «Ce mobilier d'appoint traditionnel revisité est le fruit d'une collaboration avec le designer Bertrand Voiron. Le rembourrage, les coutures, l'assemblage des pièces en cuir, techniques que je connais bien, ont retenu l'attention du designer pour ensuite orienter la nouvelle conception du pouf classique. Nous nous sommes entendus sur un concept définitif : le pliage de l'assise à vide, puisqu'il est question de destiner ce produit autant au marché local qu'au marché touristique», explique l'artisan. Un nouveau visage Il est à savoir que la réflexion pour la conception d'une nouvelle assise de sol en cuir, imaginée par Bertrand Voiron et conçue par Chamseddine Ben Gharsallah, s'inscrit dans le cadre du programme «savoir et savoir-faire en partage», créé depuis 2008 par l'Institut français de coopération. C'est à ce titre que le designer invité en Tunisie a eu pour mission de revisiter le mobilier d'appoint traditionnel, en particulier le pouf en cuir : «Cette expérience inédite et pilote est réalisée conjointement avec l'Office national de l'artisanat, la délégation régionale de l'artisanat à La Manouba, Monoprix et l'Institut français de coopération. Elle préfigure une démarche plus pérenne avec l'ONA. A l'issue de cette opération pilote, un cadre de travail sera défini entre l'ONA et l'IFC de manière à reconduire l'expérience vers d'autres secteurs artisanaux en demande de renouvellement. Elle touchera des régions excentrées où l'artisanat est en regain de vitesse». Tout dans une œuvre d'art témoigne de la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir. Ne dit-on pas à juste titre «qu'un art qui a de la vie ne reproduit pas le passé, il le perpétue». La version contemporaine du pouf en cuir en est l'exemple. «Le choix s'est tout de suite porté sur une peau naturelle. Nous avons laissé de côté l'utilisation des teintures industrielles. Le pouf est ainsi plus souple. Cette nouvelle assise de sol en cuir se veut une création fonctionnelle et moderne», indique Chamseddine, en fin connaisseur. De nouvelles opportunités s'offrent à notre artisan qui continue le noble métier de ses ancêtres, aussi est-il disposé à réaménager son atelier un peu anachronique pour répondre au mieux à une éventuelle production en série du produit. Une passion et un savoir-faire minutieux consciencieusement préservés par un artisan qui s'est distingué par l'originalité de ses créations. Ses œuvres ont charmé Bertrand Voiron, qui a apporté sa touche personnelle aux techniques de notre artisan pour donner un nouveau visage à cet objet typiquement artisanal mais tourné vers la modernité.