Par Abdou BA* Il n'échappe aujourd'hui à personne, les Tunisiennes et Tunisiens vivant sur le sol national, ceux de la diaspora, les amis, observateurs et étrangers, etc., que le pays connaît depuis quelques mois des moments difficiles. Le gouvernement de la «Troïka», vainqueur des élections du 23 octobre 2011 n'a actuellement ni la maîtrise de la situation globale ni encore moins les coudées franches pour conduire le pays dans la voie du redressement économique et social. L'espérance, l'enthousiasme et la ferveur populaires suscitées par l'avènement du 14 Janvier 2011 ont progressivement laissé la place à l'impatience, l'intolérance, l'arrogance, l'affrontement, la violence, l'insécurité, le désordre, l'inquiétude, etc. Les divergences entre la majorité au pouvoir et l'opposition légale, celle non reconnue et la société civile, se sont approfondies. Incontestablement, la Tunisie est aujourd'hui difficilement gouvernable, comme en témoignent les récentes émeutes survenues un peu partout dans le pays et qui ont amené les autorités à instaurer, un temps, un couvre-feu presque généralisé. Les fuites qui ont émaillé le déroulement des épreuves de l'examen du baccalauréat, la quasi-impossibilité d'organiser normalement des rencontres sportives en présence d'un public important, sont des faits évidents qui expliquent le malaise profond que vit la population tunisienne. Peut-on affirmer, au regard de ce sombre tableau, que la Tunisie ne réussira pas sa mutation démocratique et économique, que le pays se dirige inéluctablement vers une crise générale? Notre réponse à cette double question est : Non, la Tunisie peut, sous certaines conditions, surmonter ses épreuves du moment et s'engager résolument sur le chemin du progrès économique et social. Pour cela, la réunion des conditions suivantes nous paraît indispensable: - La restauration d'un environnement apaisé marqué par la quiétude, la sécurité, la confiance, la cohésion sociale, etc., ce qui suppose la participation et le concours de tout le monde : pouvoir politique, opposition, organisations syndicales et patronales, société civile, bref toutes les Tunisiennes et tous les Tunisiens, à l'exception des ennemis de la révolution. La préférence du dialogue à l'affrontement, la recherche du consensus et la mise en avant de l'intérêt supérieur de la nation doivent être les seules motivations de notre conduite générale. - La prise en compte de toutes les idées, réflexions, suggestions, propositions, etc. de nature à contribuer à la résolution des multiples problèmes qui assaillent le pays. Depuis le 14 janvier 2011, chacun y va de son idée, sa critique, sa revendication, sa contribution, par le biais des médias, d'instances publiques et privées, du Net, des réseaux sociaux, de manifestations populaires, marches, grèves, sit-in, ... Comme on peut le constater, les retombées de ces initiatives, prises de position et agissements sur la situation globale sont peu bénéfiques. Au lieu de persévérer dans une approche jusque-là peu efficace, pourquoi ne pas envisager la création d'une banque d'idées, gérée par des experts confirmés et chargée de trier, stocker et proposer le meilleur de ce qui se dit et se fait aux instances et structures de direction du pays. Loin d'être utopique, cette humble suggestion peut permettre aux décideurs politiques et économiques de tirer le meilleur parti de l'apport collectif de la population dans leur quête de solutions aux problèmes du pays. Vous l'avez certainement compris, la réalisation de ces deux conditions nécessite un préalable, à savoir la mise en place d'une gouvernance unitaire. On ne le répétera jamais assez, la Tunisie a besoin impérativement d'un gouvernement d'union nationale pour se donner toutes les chances de sortir de l'impasse dans laquelle elle se trouve aujourd'hui. Le 14 janvier 2011 date maintenant de près de dix-huit mois. Certes, des réalisations ont été accomplies par les gouvernements de M. Béji Caïd Essebsi et actuel de M. Hamadi Jebali, mais le chemin de la croissance économique est encore long. Beaucoup de problèmes et obstacles subsistent et entravent la bonne marche des choses. Le débat politique pacifique et constructif, nécessaire dans une société démocratique en devenir, n'existe pas. Il y a trop de surenchères, de polémiques inutiles et stériles, de tensions et frictions extrêmes. Les questions identitaires et civilisationnelles occupent le devant de la scène au détriment des vraies questions économiques, sociales, culturelles, éducatives, sécuritaires... Bref, il règne en ce moment dans le pays une atmosphère pourrie et nauséabonde qui ne profite qu'aux nostalgiques d'un passé révolu. Qu'on se le dise sérieusement, la Tunisie n'est ni un gâteau à se partager, ni un champ de bataille où on brûle par-ci, on casse par-là, mais plutôt notre «maison». A nous de la préserver et de bien l'entretenir. Aujourd'hui, l'enjeu et l'urgence ne sont pas les prochaines échéances électorales, mais l'amélioration qualitative de la situation d'ensemble du pays. Si, bien que nous soyons tous croyants et musulmans, attachés aux valeurs de respect de l'autre, de pardon, d'entraide, de partage et de solidarité, sommes incapables de nous accorder sur l'essentiel, nous aurons alors failli à nos obligations envers la nation et brisé le rêve de nos enfants et petits-enfants, c'est-à-dire celui de vivre dans une Tunisie nouvelle, démocratique, musulmane, moderne et solidaire. La saison estivale a déjà commencé et on connaît son importance pour l'économie nationale. Le mois béni du Ramadan se profile à l'horizon. Puissent ces deux vécus nous inspirer pour faire preuve d'ingéniosité dans notre contribution au rayonnement du pays. Vive la Tunisie, vive le 14 Janvier 2011. *(Cadre mauritanien et ami de la Tunisie)