Par Anouar Moalla * A étape nouvelle, défis nouveaux. Avec l'annonce par le président de la République intérimaire de la feuille de route, le peuple tunisien a ouvert une nouvelle page de son émancipation politique. Les partis politiques, les diverses composantes de la société civile, les médias et l'ensemble des acteurs du jeu politique vont devoir rompre avec les pratiques anciennes dont ils ont été très souvent les victimes, s'imprégner des nouvelles règles et s'y tenir. De leur côté, les citoyens devront s'habituer à la realpolitik, s'initier à la nouvelle culture démocratique, sûrement moins euphorique, mais plus attentive aux nuances des programmes et des projets de société qui vont leur être présentés. Echaudés par les expériences passées, certains restent circonspects quant au rôle que pourrait continuer à jouer l'Etat, dans un domaine qui requiert, aujourd'hui plus que jamais, l'initiative et l'engagement des partis pour l'éducation et la formation politiques. Quant à la fonction d'appui, elle revient naturellement, et sans ingérence, à l'administration tandis que la fonction "arbitrage" revient au pouvoir judiciaire, soutenu par la société civile, veillant tous ensemble au respect de la Loi, notamment pour ce qui concerne le financement des partis et des campagnes. La dissolution de la police politique confirme, si besoin est, que les pouvoirs publics sont déterminés à rompre définitivement avec la logique de contrôle, de répression et d'espionnage des voix discordantes. Elle ouvre une nouvelle page faite de confiance, de tolérance et de concrétisation des attributs de la citoyenneté. Le rôle «‑classique‑» du ministère de l'Intérieur en tant que vis-à-vis gouvernemental et régulateur par rapport aux partis politiques et aux organisations de la société civile va devoir laisser place à un organe davantage mû par une logique d'aide, de coopération et de contribution à la culture politique. Nous pouvons faire confiance à l'Instance nationale indépendante de l'information et de la communication qui sera appelée à jouer, entre autres, un rôle de régulateur, lorsqu'il lui faudra gérer les temps de parole (et pas seulement dans les médias publics), ainsi que les autres espaces d'expression des candidats à l'occasion des rendez-vous électoraux qui vont se suivre durant les prochains mois. Le parti étant pris, et ce n'est pas peu, de limiter l'aide aux médias à la neutralité de l'Etat, le principe de création d'un tel organe s'inscrit dans une logique à la fois utile et salutaire pour le pays, un fonctionnement loyal du jeu démocratique. Mais, l'étape nouvelle nécessite la mise en place du côté gouvernemental d'un autre outil complétant le paysage institutionnel. Un département du développement politique‑: pourquoi ? La formule, testée non sans réussite dans au moins deux pays arabes qui se situent aujourd'hui, grâce à la nouvelle donne, faut-il le préciser, dans un contexte relativement éloigné du nôtre, consiste à créer un département chargé du développement politique, placé à un rang politique et/ou administratif à déterminer (secrétariat d'Etat ou direction générale relevant du Premier ministère). Il s'agit pour un tel département de vulgariser, d'informer, d'initier les Tunisiens aux règles du débat contradictoire, à l'échange "pacifique" d'idées, pour faire prévaloir l'argumentation sur la force. La pédagogie politique incombera certes aux partis lorsqu'ils exposeront et défendront leurs programmes. Cependant, à un moment où à un autre, selon des formats de communication publique bien définis, des spécialistes compétents et neutres devront sillonner toutes les régions pour expliquer la finalité de chaque rendez-vous électoral, les avantages et les inconvénients de chaque système politique et des divers modes de scrutin, la mission de chacune des institutions électives, etc. De la pédagogie pure qui aura pour résultat, à terme, de réconcilier le Tunisien et la Tunisienne avec la politique. C'est, nous semble-t-il, le passage obligé pour l'accès à la citoyenneté et à la démocratie "informée". Au nombre de ses missions prévisibles : • Vis-à-vis de la population générale, beaucoup de pédagogie et de formation relayées par les quelques associations expérimentées, notamment en matière d'éducation civique; • Vis-à-vis de la société civile, un travail continu d'appui, de facilitation et d'habilitation, en utilisant éventuellement le Centre d'information, de formation, d'études et de documentation pour les associations (Ifeda), évidemment en rupture totale avec ses méthodes et dans le noble but de lui permettre de renforcer les associations qui viennent de se créer et de les aider à participer pleinement à la dynamique nouvelle; • Vis-à-vis des médias, une logique d'aide à la demande, en toute neutralité, n'empiétant en aucune manière sur le travail de l'Instance spécialisée récemment mise en place; • Vis-à-vis des acteurs politiques, la même logique d'aide et de coopération, encore et toujours à la demande. Comme précisé plus haut, le rôle de contrôle des pratiques politiques pour faire respecter l'éthique, dépassionner les échanges, comprendre les doléances, canaliser les griefs et les plaintes, arbitrer les conflits éventuels et "moraliser" le discours politique pour prévenir toute dérive, ce rôle serait dévolu à l'instance d'arbitrage. Celle-ci serait composée de magistrats et de représentants de la société civile. Quel que soit le niveau de la structure retenue et son rattachement, le Centre Ifeda, profondément restructuré et réformé au niveau aussi bien de ses missions que de ses organes de gestion et d'impulsion, pourrait lui servir d'outil d'appui logistique et organisationnel. Bien évidemment, la mise en route du dispositif et de ces règles nécessitera, sans aucun doute, un temps de réaction, au sens chimique du terme, mais c'est là le chemin inévitable pour assurer la durabilité du "développement" politique. * Communicateur