Deux grandes idées ont plané, sur l'ouverture, jeudi 12 courant, des travaux du 9e congrès du Mouvement Ennahdha, placé sous le slogan «Notre avenir est entre nos mains». D'abord, l'idée développée par Cheikh Rached Ghannouchi, qui souligne dans son discours d'ouverture que «le pays a besoin de consacrer le consensus national en cette étape» pour dire, un peu plus loin, que «la Tunisie est entre de bonnes mains» et que les problèmes qu'elle connaît aujourd'hui sont «normaux pour un pays qui vit une transition démocratique». Ensuite, l'idée selon laquelle le Mouvement Ennahdha a toujours besoin de Cheikh Ghannouchi en tant que président et la Tunisie de même afin que la transition démocratique soit couronnée de succès. La Presse a soumis ces deux grandes orientations aux réactions et analyses de certains responsables de partis de l'opposition. Pour qu'Ennahdha n'éclate pas de l'intérieur Pour Mohamed Brahmi, secrétaire général du Parti Achaâb, il y a «une contradiction entre l'attachement à la consécration du consensus national, donc l'élargissement de la participation à la gestion de la chose publique d'une part et l'affirmation, d'autre part, que la Tunisie est entre de bonnes mains, ce qui revient à dire que la Troïka est une expérience réussie. Donc, l'on s'interroge si l'alliance entre Ennahdha, le CPR et Ettakatol a réussi, de quel consensus parle-t-on». Quant aux déclarations des congressistes qui estiment qu'Ennahdha a toujours besoin de Rached Ghannouchi pour présider à ses destinées, Mohamed Brahmi considère qu'elles «traduisent une certaine lecture au sein du mouvement entre un courant dur qui ne croit pas en la démocratie et un autre libéral qui ne refuse pas de traiter avec des partenaires ne partageant pas ses idées. Je pense que la présence de cheïkh Rached Ghannouchi constitue le garant qui empêcherait que le mouvement éclate de l'intérieur. Car, à mon avis, l'effritement d'Ennahdha aboutira à l'émergence d'un courant extrémiste qui imposera ses idées par la force et la violence et c'est ce qui menace la Tunisie dans son ensemble. C'est sous cet angle que je saisis le discours interne au sein d'Ennahdha selon lequel le mouvement et la Tunisie ont besoin de Ghannouchi». Un discours narcissique Pour Mohamed Hamedi, coordinateur du courant réformateur du PDP, «prétendre que la réussite de la transition démocratique est liée à la poursuite par Ghannouchi de la présidence d'Ennahdha est un discours narcissique que l'on ne peut accepter, en aucune manière. Pour nous, le succès de l'expérience démocratique est la responsabilité de tous les Tunisiens. Elle ne dépend pas uniquement du gouvernement, elle revient, plutôt, à toutes les composantes de la société, sans exclusion ni distinction». «Pour ce qui est de la consécration du consensus national tout en réaffirmant que l'expérience de la Troïka est sur la bonne voie, je considère que c'est un discours contradictoire qui traduit une certaine hésitation au sein d'Ennahdha entre ceux qui sont pour l'élargissement de la participation à l'exercice du pouvoir et ceux qui campent toujours sur leurs positions initiales, refusant de reconnaître qu'il est impossible qu'un parti puisse gouverner la Tunisie, tout seul, en cette période de transition». Le consensus, version Cheikh Rached Skander Bouallagui, constituant d'Al Aridha Achchaâbia, considère que «le consensus dans l'esprit de Rached Ghannouchi concerne les partis politiques qui s'activent sous la protection des ambassades étrangères. Al Aridha ne bénéficie ni de la protection des chancelleries étrangères ni de celle de Cheikh Rached. La protection et la confiance du peuple nous suffisent amplement. Quant à sa déclaration que la Tunisie est entre de bonnes mains, la meilleure réponse qu'on peut lui apporter est bien ce lapsus commis par Hamadi Jebali sur ‘‘notre dictature naissante'' révélateur de bien des secrets». Comment réagit-il à l'attachement des nahdhaouis à leur chef et à leur mobilisation pour qu'il poursuive la direction du mouvement ? Skander Bouallagui observe : «On nous a toujours accusés, à El Aridha, d'être le parti de Hachemi Al Hamedi. Aujourd'hui, les membres d'Ennahdha déclarent publiquement que leur parti dépend de Ghannouchi. No comment». «La Tunisie a-t-elle besoin de Cheikh Ghannouchi pour gagner la bataille de la démocratie? Pour nous, à Al Aridha, nous demeurons convaincus que la Tunisie a besoin d'un programme économique et social qui mènera notre pays à la paix sociale et c'est bien ce que le programme d'Al Aridha propose aux Tunisiens». Un discours pour les uns, un discours pour les autres «C'est un discours dont la caractéristique principale est l'incohérence. Le message qu'il contient dépend de ceux auxquels il est destiné. Les premiers destinataires sont les chancelleries étrangères qu'on essaye de rassurer qu'Ennahdha ne gouverne pas toute seule. Les deuxièmes destinataires, ce sont les composantes de la Troïka qui sont rassurés, elles aussi, qu'il n'y aura pas de partage du pouvoir. Pour Ghannouchi, le consensus c'est juste le dialogue, mais pas de participation réelle au pouvoir. A El Massar, nous n'avons jamais demandé de faire partie du gouvernement. L'essentiel pour nous, c'est qu'on nous écoute et qu'on tienne compte de nos propositions». Ainsi, réagit Samir Taïeb, porte-parole du Parti Al Massar, aux idées développées par Ghannouchi dans son discours d'ouverture du 9e congrès d'Ennahdha. Quant à l'attachement dont font montre les congressistes à l'égard de Cheikh Ghannouchi qu'ils exhortent «à l'unisson pour continuer à conduire Ennahdha qui a encore besoin de lui», Samir Taïeb souligne : «Ils sont cohérents et ils parlent en connaissance de cause. Si Ghannouchi n'est pas reconduit à la présidence, c'est une grande menace qui pèse sur le mouvement. Les luttes entre les différents clans ne sont plus un secret pour personne. L'unité du mouvement est sauvegardée grâce à la présence du Cheikh et même les jeunes nahdhaouis sont de cet avis et considèrent qu'il est le garant de la pérennité et de la force du parti». «Quant à prétendre que la Tunisie a, elle aussi, besoin de Ghannouchi, je dirais que notre pays ne s'est pas libéré de Ben Ali pour tomber sous la coupe de quiconque et de quelque bord qu'il soit».