• Marginalisés, les citoyens de Sidi Bouzid ont, surtout, mal digéré les justifications et les arguments avancés sur certains plateaux télé selon lesquels les anciens Rcédistes et les forces occultes sèment la pagaille dans la ville • Les habitants de la fameuse région agricole se sentent la cible d'une politique de punition collective organisée par le parti majoritaire. L'une de nos sources soutient cette thèse par les faibles résultats de ce parti, lors des dernières élections : deux sièges sur huit Tout le monde retient son souffle à Sidi Bouzid. Un calme précaire prévaut dans la ville, après les mouvements sociaux des ouvriers de chantiers. Les informations qui ont circulé dans tous les médias selon lesquelles les salaires seront servis, main à main, aux bénéficiaires au siège des délégations est et ouest de Sidi Bouzid, la canicule et le mois saint ont favorisé ce retour au calme. Après deux semaines de protestations, les manifestants en colère contre le retard de leurs salaires ont attaqué, jeudi, le siège du gouvernorat, saccagé le bureau régional d'Ennahdha, et de surcroît le berceau de la révolution a été complètement paralysé. De leur côté, les forces de l'ordre ont procédé, en vain, à des tirs de gaz lacrymogènes pour disperser la foule. S'agit-il d'une simple manifestation ouvrière, d'un mouvement politisé, ou encore une fois les mêmes causes mènent aux mêmes conséquences? Certains préfèrent qualifier ces événements d'une deuxième révolution. Décrivant la situation, M. Lazhar Hamdi, membre de la société civile et originaire de la ville, a précisé qu'à son passage hier matin, au centre-ville, la situation était trop calme, beaucoup plus que la normale. «Le siège du gouvernorat fermé, les traces noirâtres des flammes sur les routes et sur les murs étaient encore visibles, la présence passive des forces de sûreté et une faible activité de circulation», témoigne t-il. Ainsi, la ville est plutôt paralysée que calme. Il renchérit «La ville est encore plus sale». Revenant sur les faits, il rappelle que des groupes d'ouvriers de chantiers ont protesté devant le siège du gouvernorat pour revendiquer leurs salaires. «A bout de patience, après maintes promesses non tenues, les ouvriers ont forcé le destin en envahissant les locaux du gouvernorat», raconte-t-il. Et les activités ont dégénéré en des blocages des principales routes, des affrontements avec les forces de l'ordre, allant jusqu'au saccage du bureau régional du principal parti au pouvoir, Ennahdha en l'occurrence. Pour sa part, M. Rchid Ftini, homme d'affaires à Sidi Bouzid, a précisé que le lundi, les protestations ont grimpé d'un cran. Mardi, les manifestants ont évacué le gouverneur en dehors de son bureau. Le jeudi, le mouvement a atteint son apogée. «Après les affrontements au centre-ville, les manifestants se sont dirigés vers le local d'Ennahdha dans un immeuble de trois étages», rappelle-t-il. Et d'ajouter : «Conscients de leurs actes, mis à part le bureau d'Ennahdha, ils n'ont rien touché à l'immeuble. Ensuite, l'enseigne du bureau, avec le sigle bleu et blanc, a été transporté au centre-ville dans un cercueil». Il est à préciser que quelques jours avant, «le gouverneur nahdhaoui a promis de régler le dossier avant mercredi, autrement il quitterait les lieux», martèle M. Rchid. Promesse non tenue, la réaction des ouvriers, quoique violente et démesurée, est tout à fait prévisible, voire compréhensible. Ce mouvement a été rejoint par des habitants de la ville en signe de solidarité avec les ouvriers. A cet effet, l'homme d'affaires a souligné que le gouverneur, appartenant au mouvement Ennahdha, a déclaré à maintes reprises sa réticence à ce mode de travail et de rémunération. M. Rchid estime : «Il est déterminé a éradiquer ce mécanisme pour gagner des points auprès de ses supérieurs». Et de préciser : «Bien que ce mécanisme ne soit pas commode au développement des affaires, et que j'encaisse directement les effets dans mes entreprises, il a fallu proposer une alternative pour ces demandeurs de revenus décents». D'après lui, les mouvements ont été spontanés, sans aucun encadrement ni des partis politiques, ni des organisations de la société civile. Ses amis politiciens, de gauche et de droite, lui ont confié que de tels mouvements sont en dehors de tout commandement. «Les manifestants rejetteront toute couleur politique», ajoute-t-il. Mais les causes sont plus profondes De toute façon, ce qui s'est passé au centre du pays n'est que la partie visible de l'iceberg. D'après nos sources, le sentiment de colère est général et ne se résume pas à cette affaire. Des agriculteurs aux ouvriers en passant par les chômeurs, les désillusions sont bien réelles. «Les fruits de la révolution à laquelle ils ont donné naissance ont été récoltés par ceux qui n'y ont pas participé», n'ont cessé de répéter nos deux interlocuteurs. A cet égard, M. Lazhar Hamdi rappelle que lors du concert d'un chanteur engagé, bien avant ces évènements, depuis une vingtaine de jours, le public criait «le peuple veut une nouvelle révolution». En effet, il souligne que «les attentes sont grandissantes, mais rien n' a été fait pour la région». Pis, l'homme d'affaires nous informe qu'un groupe de textile suisse qui a manifesté son intérêt de s'implanter dans la zone industrielle, quasi déserte, a été détourné au siège du ministère de l'Industrie vers d'autres lieux sur le littoral. «Il y a de tout là-bas au Sahel, leur ont-ils conseillé au ministère», déplore-t-il. «Le développement de la région n'est plus une priorité pour ce gouvernement focalisé de plus en plus sur les prochaines élections», accuse l'un des interlocuteurs. Marginalisés, les citoyens de Sidi Bouzid ont, surtout, mal digéré les justifications et les arguments avancés sur les plateaux télé selon lesquels les anciens Rcédistes et les forces occultes sèment la pagaille dans la ville. «Il n'ont rien compris», estime notre source. En somme, les habitants de Sidi Bouzid se sentent la cible d'une politique de punition collective organisée par le parti majoritaire. L'une de nos sources soutient cette thèse, l'expliquant par les faibles résultats du parti au pouvoir lors des élections : deux sièges sur huit. Selon la même source, cette politique est de plus en plus claire, avec l'humiliation de la mère de Bouazizi, Manoubia. «Bien qu'elle ne soit pas très populaire, elle demeure un symbole de la révolution», ajoute M Rchid. C'est un signal fort pour prévenir tous les habitants de Sidi Bouzid de tout comportement qui déplaît. Et les mêmes causes mènent aux mêmes conséquences. Ouvriers de chantiers : Mandats pour tout le monde dans 24 heures «Le payement des ouvriers de chantiers partout en Tunisie sera effectué, dans deux jours, à travers des mandats postaux électronique», a annoncé le ministre du Développement régional et de la Planification, Jameleddine Gharbi. Il a expliqué à l'issue d'une réunion ministérielle restreinte, tenue hier au palais du gouvernement à La Kasbah, qu'une convention a été signée dans ce cadre entre les ministères du Développement régional, de l'Intérieur et des Finances et l'Office national des postes tunisiennes pour assurer le transfert des salaires des travailleurs de chantiers par des mandats postaux électroniques. «Les revenus des ouvriers sont disponibles», a précisé le ministre, expliquant qu'il suffit de présenter auprès des services de la poste la carte d'identité nationale pour que chaque ouvrier perçoive son salaire. Le retard de payement des ouvriers de chantiers a provoqué une vague de protestations depuis plus de deux semaines qui s'est intensifiée jeudi lorsque des protestataires ont envahi le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid et attaqué le bureau régional du parti Ennahdha.