Le gouvernement provisoire a décidé, après une année de récession, d'adopter une politique monétaire expansionniste qui maintient des taux d'intérêt à des niveaux bas, facilitant les conditions d'emprunt au profit des ménages et des entreprises. La réduction du taux d'intérêt constitue l'un des outils adoptés pour l'incitation à l'investissement dans la mesure où il permet de comprimer les coûts de financement et encourager la création de projets. Cependant, cette réduction qui encourage les particulier et les entreprises à emprunter à un coût bas et partant à consommer davantage, contribue à l'augmentation des prix et donc du taux d'inflation. Selon les prévisions du gouvernement, l'année 2012 verra son PIB croître de 3,5% après une récession de 2,2% en 2011, ainsi que le taux de croissance qui atteindra 7% d'ici 2015. Mais cet optimisme est loin d'être partagé par tous les experts. Une étude analytique élaborée par le Pr Sami Moulay, professeur à l'université de Tunis, intitulée «l'entreprise tunisienne face à la politique monétaire : réflexions et pistes de réformes», examine les difficultés d'accès des entreprises tunisiennes aux sources de financement bancaire, les stratégies et les mesures de sortie ainsi que les pistes de réformes. D'après une lecture du contexte national, «le financement bancaire des entreprises tunisiennes demeure le moyen de financement prépondérant du secteur privé. Il est d'autant plus que, relativement aux autres outils de financement non bancaire (factoring, leasing, marché boursier, capital-risque), qui jouent un rôle mineur, il représente quasiment la source privilégiée de levée de fonds. Néanmoins, les concours bancaires aux secteurs productifs en Tunisie sont limités dans la plupart des cas à des crédits à court terme, et demeurent faibles par rapport à plusieurs comparateurs et pays émergents mais aussi à ceux des économies avancées de l'Ocde», explique M. Moulay. C'est dire que, les problèmes récurrents des difficultés d'accès des entreprises tunisiennes, et essentiellement des PME-PMI, aux sources de financement bancaire sont principalement attribués aux contraintes liées aux collatéraux, du fait d'exigences contraignantes généralement adossées aux garanties hypothécaires, et surtout aux coûts d'emprunts exorbitants. «En particulier les coûts des crédits, en termes de taux d'intérêt et de marges appliquées, découlent principalement des spécificités de la pratique actuelle de calcul des taux d'intérêt d'une part, et à l'inefficacité des initiatives publiques dédiées au financement intermédié, d'autre part. Ces deux constats sont directement imputables au cadre de conduite de la politique monétaire», précise M. Moulay. L'étude a fait ressortir qu'en dépit de la migration du statut des banques de développement à des banques universelles, le système bancaire souffre encore de certaines caractéristiques structurelles, et en particulier, le volume des créances classées et la part croissante de leur approvisionnement requis qui induisent une aversion des banques au risque de crédit. La bonne santé des banques est cruciale pour la transmission de la politique monétaire : lorsque les bilans bancaires sont encombrés de créances douteuses ou que leurs actifs sont dévalorisés, elles sont moins disposées à accorder de nouveaux crédits. «C'est là aussi une autre explication des contraintes pouvant entraver l'efficacité de la politique monétaire en Tunisie». En conséquence, et durant la période récente, l'économie nationale a accusé structurellement un déficit moyen de l'épargne brut par rapport à l'investissement brut de l'ordre de -3,12% du PIB avec un blocage du taux d'investissement privé brut domestique autour d'une moyenne de 13,8% ainsi qu'une contribution moyenne quasi-stationnaire de la formation brute du capital fixe, comme composante de la demande, au PIB à prix constant de l'ordre de 21,4%. Les difficultés d'accès des entreprises aux financements D'après l'étude, dans le secteur on-shore, près de 97,8% des entreprises tunisiennes (tous secteurs confondus) se classent dans la catégorie des PME-PMI. La principale conséquence est que leur capacité à obtenir des financements pour leurs opérations commerciales est capitale pour la croissance économique. «Le financement bancaire en Tunisie ainsi que les autres mécanismes de soutien dédiés (Bfpme, Sotugar pour les garanties...) demeurent les principales sources de collecte de fonds si bien que l'accès des entreprises tunisiennes aux autres services de financement non bancaire (leasing, marché boursier, capital risque...) demeure limité par plusieurs contraintes et joue un rôle mineur», affirme le professeur Moulay. Selon les statistiques publiées, et au niveau du financement bancaire, et bien que la part des crédits à l'économie a représenté en moyenne 56,4% du PIB durant la dernière période, elle demeure en deçà du niveau moyen d'intermédiation bancaire observé dans des pays comparateurs et récurrents de la région Mena (62%). Dans tous les secteurs, la contribution du système bancaire demeure modérée. Selon les données de la dernière enquête sur la compétitivité et celles des données d'enquêtes d'entreprises de la Banque mondiale, le crédit bancaire n'assure que 19,3% en moyenne des besoins de financement des actifs de long terme, contre 50,6% pour l'autofinancement qui reste la principale source de financement des entreprises tunisiennes. Le taux exorbitant du crédit bancaire en Tunisie figure comme le principal obstacle de financement. En particulier, les taux d'intérêt en Tunisie sont nettement supérieurs à ceux observés ailleurs. De même, au niveau des marges d'intermédiation bancaires, les marges nettes moyennes d'intérêt sur les crédits bancaires des principales banques tunisiennes figurent parmi les plus élevées des pays comparateurs de la région Mena. L'étude en question a fait ressortir que le taux directeur de la BCT (fixé à 4,5%) reste largement disproportionné par rapport à celui de la BCE (taux de refinancement Refi pour la zone euro établi depuis avril 2011 à 1,25% après avoir été maintenu depuis mai 2009 à 1%). «Certes, cet écart semble a priori justifié par le décalage d'inflation entre la Tunisie et les autres zones qui n'autorise pas encore de désarmer la politique monétaire par une réduction du taux d'intérêt directeur, ce qui pourrait entraîner des risques de reprise de l'inflation». Au niveau des politiques monétaires et de financement bancaire, les manifestations de la situation économique durant la phase post-révolution de janvier 2011 en Tunisie se sont caractérisées par une progression de la masse monétaire de l'ordre de 2,9% en moyenne au cours du premier trimestre contre 1,6% pour la même période de l'an passé. Par conséquent une légère reprise de l'inflation a été enregistrée au cours du mois d'avril 2011 contre une stabilité autour de 3% en glissement annuel au cours du trimestre précédent. La première mesure était celle de la baisse du taux de la réserve obligatoire permettant de fournir une liquidité supplémentaire au système bancaire pour environ 360MDT. En conséquence, la dynamique de baisse du taux d'intérêt interbancaire moyen s'est poursuivie en passant de 4,65% au cours du mois de février à 4,56% en mars et 4,4% en avril 2011. Réorientation des instruments de la politique monétaire De nouvelles orientations en matière d'instruments de conduite de la politique monétaire en Tunisie ont été fixées, visant à élargir le corridor entre les taux de facilités de dépôts et de prêts de 50 points de base contre 100 points de base actuellement, ce qui permettrait de réduire la taux du marché monétaire (TMM). Autre recommandation, qui consiste en la mise en place de lignes de financement spécialisées à des conditions de banques appropriées, à l'égard des lignes de crédits étrangères, au profit des entreprises résidentes opérant dans les zones de développement régional prioritaires. Par ailleurs, dans le cadre du soutien aux entreprises économiques, «il faut prévoir un dégrèvement du différentiel entre le taux d'intérêt des prêts de rééchelonnement octroyé par les établissements de crédits et le taux moyen du marché monétaire. Il s'agit également de renforcer le rôle des banques dans le financement des PME-PMI dans les régions, outre la restructuration du dispositif de microcrédits et création de pôles bancaires dans les régions». (Source : Etude sur «l'entreprise tunisienne face à la conduite de la politique monétaire»-Iace- Ctee)