Comment les femmes de l'Association tunisienne des femmes démocrates se sont-elles prises pour dénoncer les violences et les exactions commises à l'encontre des femmes durant la révolution du 14 janvier 2011, plus précisément durant la période allant du 17 décembre 2010 jusqu'à la journée historique du vendredi de la délivrance et de la fuite de Ben Ali ? Elles se sont dirigées tout simplement vers les villes où la police de Ben Ali a tout fait pour étouffer la révolution dans l'œuf, en s'attaquant aux femmes qui ont crié un non haut et fort à la répression aveugle dont ont souffert leurs maris, leurs frères et leurs enfants. Elles sont allées écouter les femmes victimes de la révolution, leur apporter une oreille solidaire pour que tout le monde soit au fait de tout ce qui s'est passé à Kasserine, à Thala, à Sidi Bouzid, à Hammamet etc. Et ce que les lieutenants d'Ahlem Belhaj, présidente de l'Atfd, ont déclaré « dépasse toute imagination quant à l'injustice, la pauvreté et l'étendue de la corruption dont souffrent ces régions». Une forte demande d'écoute La première à se rendre sur place dans les régions foyers de la révolution, l'équipe des enquêtrices de l'Atfd a décelé chez les populations ciblées «une forte demande d'écoute, de témoignages sur les violences subies et des différentes exactions mais sur toutes les injustices qu'elles endurent depuis l'indépendance». Les témoignages recueillis ont totalisé 99 dont 58 livrés par des femmes. Vingt familles ont reçu la visite de femmes de l'Atfd. La répartition des témoignages qui ont démarré le 27 janvier 2011 à Thala montre que 24 femmes ont parlé à Thala, 12 à Régueb, 3 à Sidi Bouzid, 4 à Nabeul, 3 à Hammamet et Bir Bou Regba, 5 à Tunis et une (blessée) à Tunis. Quant aux détails des interventions policières, elles sont rapportées par les victimes qui n'hésitent pas à faire part de leurs nom, situation matrimoniale et professionnelle. Ainsi, Faïza Retibi, célibataire, sans emploi, résidente à la Cité Ezzouhour à Kasserine souligne-t-elle en parlant de la terreur vécue par les femmes kasserinoises au Hammam de la ville (bain maure): «Une femme en uniforme de police a lancé trois bombes lacrymogènes dans la salle externe du Hammam puis a fermé la porte extérieure pour empêcher les occupantes de quitter les lieux. J'ai quitté le bain maure, à moitié dénudée, ce qui a provoqué désarroi et panique parmi les femmes». Toujours à Kasserine, Samira Nasseri ne désire pas «reproduire les obscénités proférées par les policiers». Toutefois, elle fait part des menaces exprimés par les policiers en ces termes, «Notre mère Leïla nous envoie vous tuer». Faouzia Aloui, 52 ans, poète et écrivaine insiste sur «la souffrance due aux privations, à la précarité et au manque d'emploi !». Elle dénonce également «la corruption et l'indifférence des responsables locaux face au sort des habitants». Et les témoignages de continuer. A Thala, la jeune écolière Hajer Bouali, 15 ans, rapporte avoir aspiré du gaz toxique des bombes lacrymogènes lancées dans la cour du collège et avoir reçu des coups de matraque. Noura Souibgui, 46 ans, mère de quatre enfants dont un ayant perdu l'usage de ses jambes s'exprime : «Je refuse toute compensation financière quelle que soit la somme proposée. J'exige l'arrestation des auteurs de l'agression subie par mon fils et leur traduction en justice». Aïda Akremi veuve, âgée de 38 ans, exploitante d'un taxiphopne à Regueb, rapporte avec sa sœur Wahiba, en pleurant que «les policiers se mettaient nus devant elles en proférant des obscénités et en saccageant complètement son commerce». Elle relève aussi qu'elle a subi «le harcèlement sexuel de la part des responsables locaux». Elle rappelle s'être «révoltée contre ses conditions économiques en s'immolant par le feu il y a six ans». A Hammamet et à Tunis, les victimes des répressions policières dénoncent les pillages commis à leur encontre, déclarent qu'elles connaissent les assassins des martyrs (Néjiba Zitouni accuse le commissaire chef du district de Tunis d'être l'auteur de l'assassinat de son fils Ali Cherni tué par balle le 12 janvier 2011) et expriment, à l'instar de Lamia Farhani, (sœur du martyrs Anis Ferhani et avocate des familles des blessés et des martyrs) leur indignation quant au «déroulement des procès d'autant plus que les preuves ont été présentées pour identifier les coupables». Les enfants, aussi Les violences commises par les policiers de Ben Ali ne se sont pas limitées uniquement à ceux qui ont participé aux manifestations. Elles ont touché toutes les catégories et tranches d'âge, plus particulièrement les enfants dont en particulier, la petite Yaquin, bébé de six mois, fille de Yamina Guezmir, de Kasserine. Le bébé est mort étouffé par les bombes lacrymogènes tirées au Hammam. A Thala, Najet Jemli, mère de trois enfants son fils Marwan, lycéen, mort par balles le 8 janvier 2011. Les tentatives de viol n'ont pas été en reste puisque les enquêteuses de l'Atfd ont découvert qu'à Thala, «que des lycéennes et des étudiantes ont subi des tentatives de viol commises devant leurs parents». Toujours à Thala, «une jeune mère a été menacée de viol devant ses enfants et son époux», alors qu'à Tunis, une jeune bloggeuse agressée par un groupe qu'elle tentait de filmer a été menacée de viol et a subi des actes d'attouchements, voire des violences sexuelles.