Par Amin Ben Khaled L'année dernière et dans la cacophonie post-révolutionnaire ambiante un fait divers est passé presque inaperçu. Un jeune étudiant salafiste s'est suicidé devant son père parce que ce dernier lui avait interdit d'aller participer à un sit-in organisé par ses acolytes à la faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba. Ce fait divers aurait pu faire l'objet d'une analyse approfondie. Et il n'est pas utile de feuilleter la littérature freudienne pour comprendre que ce salafiste a préféré se donner la mort plutôt que de transgresser l'ordre paternel. Car tout est là : le salafiste est un enfant. Mais un enfant dangereux. Un enfant, tout d'abord, car il est prisonnier d'un «espace-temps» idéalisé mais révolu. Dangereux ensuite, car il veut imposer cet «espace-temps» à la société actuelle par la violence voire l'auto-destruction. Le statut d'enfant dangereux du salafiste l'emprisonne dans un mythe fondateur qu'il voudrait coûte que coûte imposer à la réalité ambiante. Ce mythe fondateur il le retrouve dans les textes sacrés. Cependant, le rapport qu'entretient le salafiste avec le texte sacré n'est pas un rapport direct. Il est paradoxal de constater que ce rapport est médiatisé par une kyrielle d'interprètes qu'il considère comme étant intouchables, une sorte d'autorité morale qui a fixé les contours et le sens dudit texte. Le salafiste ne croit pas tant au texte, il croit plutôt à son contexte d'énonciation. Un peu comme un enfant qui ne croit à une histoire de fées que parce qu'elle lui a été racontée par ses parents et que si un inconnu la lui racontait avec les mêmes détails, il serait plus que dubitatif. Je me rappelle quand j'étais petit et après avoir vu un film de Zorro, j'ai voulu qu'on m'achète la combinaison de ce héros alors qu'à l'époque je n'avais rien compris au film et à son message humaniste et universel faisant l'apologie de la bravoure et de l'abnégation. Pour un enfant, l'identification physique à un personnage fantastique permet de combler le fossé qui existe entre les deux mondes. L'apparence sert à maintenir le lien avec un monde chimérique. C'est la raison pour laquelle le salafiste, enfant de son état, donne beaucoup d'importance à l'apparence physique qui doit être conforme aux moindres détails de ses héros. Mieux encore, il se sent enhardi et il trouve un sens à son existence s'il s'insère dans un groupe dont les membres partagent le même fétichisme. Au final, pour aider cet enfant dangereux à transgresser le poids du mythe et passer à l'âge adulte, c'est-à-dire l'âge du doute méthodique, il faut au moins deux choses : tout d'abord lui faire découvrir le texte sacré dans sa pureté sémantique en levant tous les obstacles historiques et mythiques qui l'entourent. C'est le «stade du miroir». Ensuite, lui apprendre à avoir confiance en sa raison en la confrontant avec la raison des autres par le biais du dialogue et de l'argumentation. Ainsi, le mythe ne devient plus un objet de mimétisme absurde mais l'objet d'une interrogation consciente sur le sens profond des choses.