Par Khaled TEBOURBI Que de passions et de déchaînements dans cette affaire dite des «Tableaux d'El Abdellia» et, au bout du compte, quel gâchis! Un pays entier a été mis sens dessus dessous. S'agissait-il, d'abord, «d'œuvres sacrilèges» ayant «provoqué» l'ire des salafistes et «offensé» la foi des Tunisiens? Affirmatifs étaient les ministres du Culte, de l'Intérieur et de la Culture, au soir même des événements. Relayés, aussitôt, par nombre d'élus nahdhaouis. A l'exact opposé était la réponse des organisateurs, des artistes et de la critique spécialisée pour qui les peintures «visées» ne comportaient «aucune connotation malveillante» à l'égard des croyances ou de la réligion. Qui fallait-il croire? Les salafistes qui rejettent, par principe, l'existence même des arts? Les ministres et les élus d'Ennahdha dont le parti pris religieux est établi? Ou, simplement, les experts et les gens de métier, voire les responsables d'une exposition dûment autorisée et dont le contenu, jusque-là, jusqu'à cette journée houleuse de clôture, n'avait soulevé la moindre contestation? Comment croire, au surplus, à une telle disproportion entre «la cause» et «ses effets»? On est parti de trois à quatre tableaux exposés dans un discret espace d'une banlieue de la capitale, on a débouché sur des saccages et des incendies généralisés, sur des attaques en masse contre des bâtiments de police et de justice, des sièges de partis et de syndicats, et (le comble!) sur une mort d'homme et un couvre-feu décrété sur la presque totalité du territoire. Les arts, soit, n'ont pas «la cote» en cette période «d'islamisme ambiant», mais les considérer, seuls, à l'origine de pareilles calamités, ne convainc personne, force est de l'avouer. Sapé «par le bas» Non : le plus plausible dans cette affaire des tableaux d'El Abdellia est qu'un scénario «cousu de fil blanc» a fini par échapper à ses propres «auteurs». C'est un scénario connu du reste, et qui a fait «ses preuves», on s'en souvient comme d'hier, lors de la projection de Ni Dieu ni maître de Nadia El Fani et de la diffusion de Persepolis sur «Nessma TV» A priori, l'idée n'a pas de parade. On commence par juger «blasphématoires» certaines séquences des films. Des bandes salafistes entrent ensuite en action. Agressions, violences, tollé. La police laisse faire. Le gouvernement condamne pour finir, mais en insistant, au passage, sur «les torts et les travers» de ceux qui «poussent au désordre en profanant le sacré». Emoi dans l'opinion. Quand on sait titiller la fibre religieuse du bon peuple, tous les arguments deviennent caducs. Même ceux des libertés constitutionnelles et citoyennes, que l'on continue de défendre, par ailleurs, dans les discours officiels et sur les bancs de l'Assemblée. Ce que l'on fait mine de construire «par le haut» est subtilement érodé, sapé «par le bas». Et c'est ce qui était vraisemblablement escompté de «la cabale» d'El Abdellia. Là, tout le dispositif était bien en place. Les peintures «équivoques» étaient désignées d'avance. Et avec «les formes» : une plainte émanant d'une association civile islamique et un huissier notaire convoqué à l'appui. Les salafistes étaient présents. Injurieux et casseurs sous le regard des agents de l'ordre. Et l'intervention des responsables a suivi. Dans les mêmes délais, sur le même ton, et avec les mêmes insinuations. M. Mehdi Mabrouk a «promis» un procès aux organisateurs. M. Ali Laaraïedh a fustigé «les provocateurs». M. Rached El Ghannouchi a appelé à une manifestation «en défense de la foi». Des imams, purs et durs, se sont répandus dans les médias (réjouis de l'aubaine) pour mettre en garde contre «les ennemis de l'Islam... et de la révolution» (!?) Trois présidents sont, enfin, montés au créneau pour rappeler a tout le monde «la primauté du sacré sur les droits». Ni facile ni docile Bref, le «tour» était presque joué. Sauf que, cette fois-ci, il y a eu «émeute intégrale». Sous tous les rapports, et sous toutes les latitudes. Nord-Sud, Est-Ouest et toutes catégories confondues. Il y avait bien des salafistes à l'exposition du palais El Abdellia, pour dénoncer des «peintures sacrilèges» et des artistes plasticiens. Mais il n'y avait pas qu'eux à Jendouba, au Kef, à Sousse et à Monastir, à Hay el intilaquâ et à Hay ettadhamen. Et pas spécialement pour les mêmes raisons. Il y avait aussi des chômeurs par milliers, des désespérés et des mécontents par centaines. Il y avait, surtout, des groupes organisés de miliciens, et des jeunes «apprentis terroristes» à l'écoute des messages de «l'Aqmi»». Réveil brutal ! La Tunisie de la transition démocratique n'est pas celle que l'on croit. Ce n'est pas la Tunisie que l'on «monte» et «démonte» à sa guise en usant des faux alibis de la religion. Ce n'est plus, en tout cas, la Tunisie «facile» et «docile» des élections d'octobre 2011. Ni la Tunisie «clivée», «croyante» ou «mécréante» que d'aucuns espèrent mener par le bout du nez lors des prochaines élections. Urgence : que les «fins stratèges» de la politique politicienne s'empressent d'aller revoir leur copie !