Au rendez-vous du concert (mensuel ?) de la Rachidia, vendredi soir, au Théâtre municipal de Tunis. La journée a été clémente, mais le froid remonte aux premières heures de la nuit. Ce qui explique, peut-être, qu'il n'y avait pas foule à la bonbonnière. Juste la salle aux étages, par contre, la présence était inhabituellement clairsemée. Il y a aussi, les musiciens le savent d'expérience, des soirées qui ne décollent pas d'elles-mêmes. Celle de vendredi était d'emblée empreinte de monotonie. Sorte «d'alchimie négative» qui déteint, ainsi, sur la scène et l'auditoire, indépendamment du programme et des prestations proposés. Le concert, par ailleurs, ne fut pas sans reproches. On y aura eu droit à des suites de malouf plutôt galvaudées. Il est, certes, bon que le public retrouve ses arias familières, qu'il puisse réagir à ce qu'il entend, néanmoins le répertoire andalou n'est jamais meilleur que quand il est exploré. Il recèle toujours des richesses «inédites», mal connues, des awatechs comme disent les spécialistes, si l'on veut fidéliser davantage les adeptes, le plus judicieux est de leur permettre, ne serait-ce qu'à doses espacées, d'en faire la découverte. L'interprétation, non plus, n'a pas atteint les niveaux requis. On l'avait souligné lors du concert de fin décembre, on insiste cette fois-ci encore : l'orchestre dans sa facture actuelle manque clairement de volume, quant aux chœurs, ils pèchent toujours par un certain défaut de cohésion. On ne le répétera jamais assez du reste : le malouf chanté à l'unisson nuit beaucoup à la qualité même du malouf, qui est traditionnellement (à sa base esthétique) un chant de solistes et de performances vocales. En Algérie et dans la «alâ» marocaine, la règle est généralement observée. On attend de la direction artistique de la Rachidia qu'elle se décide, enfin, à la (re)mettre en application. On nous promet pour bientôt un renfort de grandes voix, ce serait, sans doute, un début de solution. Deux défaillances Venons-en au programme présenté. Introduction classique avec une noubâ, la «raml el maya» pour la circonstance, précédée (comme c'est d'usage) par un instrumental sur le même mode, l'imposant Bachref Samaï El Kabir. Le mode «raml el maya» constitue avec les modes «dhil» et «rasd Eddhil» le noyau fort des «touboûs» typiques tunisiens. Typiques parce qu'à la différence des autres, ce sont des modes à «gammes autonomes», se suffisant à elles mêmes. Peu d'emprunts «extérieurs», surtout pas de vrais correspondants dans les «maqûams charqui»… Authenticité absolue et palette riche de sons caractéristiques. La noubâ raml El Maya, interprétée vendredi, en était la parfaite illustration. On y passe des «Abiats» au «Btaïhi» lent, aux tempos accélérés du «Barwel» et du «Khetm», en traversant un espace musical en aucun cas répétitif. Diversité, densité mélodique d'un morceau à l'autre, l'écoute est forcement séduite, captée. Petite remarque : il n'est pas obligatoire dans la noubâ de reprendre systématiquement les mêmes morceaux. On peut en changer quelques-uns de temps à autre. Il y a à l'intérieur de chaque suite andalouse, et pour chaque catégorie de rythme, quantité de morceaux «équivalents», des «btaïhi» à profusion par exemple, y recourir parfois permet, outre de démontrer l'étendue d'un répertoire, de prévenir «la désaffection» des écoutes. Chose courante dans les concerts de malouf. La chanson classique tunisienne a eu, comme d'habitude, sa part de programme. Une belle voix était annoncée, Hassen Dahmani, qui fit malheureusement défaut. Iqbal Jomni et Mongia Sfaxi étaient, en revanche, bien là. La première a restitué avec une évidente sensibilité (bien que sans grand brio) deux joyaux du Cheikh Khémaïss Tarnane : «Mouhal kelmet âh» et la délicieuse «Y a laymi yezzini» qui date (a mentionné Fathi Zghonda) de 1935 (presque des débuts de La Rachidia) et qui amorça le mémorable cycle de compositions du grand maître. Mongia Sfaxi, que les professionnels classent parmi les espoirs les plus sûrs du chant, n'eut pas la réussite attendue dans «Y a tir taâdit m'nin» du regretté Kaddour Srarfi, et «Layâtini» de Tarnane. Beau timbre, voix porteuse toujours, mais petites négligences de justesse dans quelques conclusions. Sans doute un excès de confiance, c'est bien dommage! Rien à signaler pour le reste. Ou si, l'autre absence, le solo du violoniste virtuose de Bachir Salmi, remplacé, pas de la meilleure façon qui soit, par un soliste de la troupe. On aurait pu s'en dispenser, tout simplement.