Par Hamma HANACHI Début 2011. Le petit pays à la longue histoire prit le départ d'une série de révolutions qu'on appellera le Printemps arabe. Aux premiers rangs des contestataires figuraient les artistes qui ont tracé des sillons d'une nouvelle terre « libérée » du joug de la censure. Des jeunes plasticiens ont donné le ton d'une vision différente de celle d'avant : l'art, sans les contraintes du pouvoir, hier timide, sans visibilité, est devenu engagement, mieux, il prétend désormais au renouvellement de la pensée et de la société. Beaucoup de galeries, qu'il serait long de citer, exposèrent des œuvres jamais vues, jamais aperçues ni même imaginées autrefois, des installations, des œuvres éphémères, d'autres illustratives, des gags, des tags, des speed painting, des clins d'œil, des photos- projections, des vidéos, des œuvres engagées ou désengagées, des actions rétrospectives ou avant-coureurs, les arts visuels sortent de leurs trous, des performances se multiplient, des happenings voient le jour. Bouillonnement artistique, la ville s'est transformée en un lieu d'interférences humaines. Bref, le sujet de l'art a changé, les artistes quittent leurs ateliers, les lieux clos et agissent dans la rue. Exemple parmi mille : du côté de Carthage, des artistes-agitateurs ont repeint ou dépeint des voitures brûlées par les insurgés, les ont martelées, défigurées et transformées en œuvres d'art. Jamais pareille expérience ne fut réalisée auparavant. Deux d'entre ces voitures fixent encore ces instants de bravoure, d'engagement et de créativité, elles sont installées encore sur des socles, devant l'Acropolium de Carthage. ********** Les racines d'un art réellement contemporain postrévolutionnaire ont donné des tiges, celles-ci des fleurs, un champ est aujourd'hui visible où plusieurs expériences artistiques coexistent, se répondent, voisinent, se chevauchent, se heurtent. Les démarches se répandent encouragées par une poignée de vaillants galeristes engagés en faveur de l'art contemporain. Juin dernier. Controverse d'El Abdellia. Couvre-feu, âpres discussions, palabres violentes, convergences et divergences d'idées, le citoyen qui n'a jamais participé à une réflexion sur l'art, n'a jamais mis les pieds dans une galerie, découvre un champ jusque-là inconnu : une expression, des artistes, une histoire de l'art, un art neutre, sans effets et un autre profane, bref, il apprend que l'art a un sens, une portée idéologique. L'affaire prend des proportions incroyables, des responsables politiques sont outrés, un imam appelle au meurtre des artistes, un procès inique, des résistances, une chaîne de solidarité, le milieu intellectuel et médiatique se mobilise. Au moyen de l'art, le pays fait encore une fois la « une » de l'actualité internationale, les hommes de par le monde découvrent l'artiste tunisien, son univers et ses batailles. ********** Octobre 2012.Sur proposition de Christine Bruckbauer, Autrichienne, historienne de l'art, vivant et enseignant à Tunis, l'IFA, une galerie de notoriété mondiale, installée à Berlin et Stuttgart, choisit la Tunisie pour préparer une exposition d'artistes contemporains. L'Institut Goethe de Tunis s'associe à l'opération, l'exposition sera appelée Un avenir en rose, un clin d'œil à la couleur mauve du passé et au présent marqué de traces noires, couleur de l'étendard des salafistes et autres fanatiques religieux. Un avenir en rose réunit treize jeunes artistes contemporains, post-révolution dont les travaux ont été montrés en Tunisie. Il s'agit de Mohamed Ben Slama, Mohamed Ben Soltane, Moufida Fedhila, Aïcha Filali, Faten Gaddès, Mouna Jemal Siala, Sonia Kallel, Halim Karabibene, Mouna Karray, Nicène Kossentini, Hela Lamine, Patricia K. Triki et Rania Werda. Trois toiles, des photos, des installations, des vidéo- projections. Succès retentissant, un accueil inattendu, beaucoup de visiteurs, des débats stimulants, des tables rondes, des talk shows, des retombées médiatiques. Les artistes rencontrés sont réjouis de l'opération, ils en parlent avec un air triomphant. A la lumière du nombre des visiteurs, des questions et des interrogations, les Allemands semblent porter un intérêt palpable pour l'art contemporain en Tunisie, mais pas seulement, ils s'intéressent à l'expérience politique, aux enjeux des forces en présence et à la destinée du pays, nous apprend Christine Bruckbauer. En avril, l'exposition se déplacera à Stuttgart, d'autres visites, d'autres réactions sont attendues, entre- temps, un épais catalogue en forme de livre, couverture couleur rose sort en librairie. Nous en reparlerons.