On dit que les pires moments de crises sont souvent les meilleurs déclencheurs de la création artistique. On dit que l'art, tout comme la vie, née de la souffrance...et dans la douleur. On dit que le rêve, dans sa dimension d'extase et de plénitude, voit rarement le jour dans un monde où tout se veut calculé, où le bonheur se doit d'être expliqué, justifié, raisonnable surtout. Que dites-vous d'une femme tunisienne qui croque à la vie, dans le meilleur et dans le pire, tel une promenade imprévue dans un pré touffu de roses sauvages ? Amel Hajjar a choisi de voir la vie côté jardin, celui d'un itinéraire spontané de visions artistiques, puisés dans un imaginaire généreux. On l'appelait «l'artiste» dans son environnement écolier. On l'incitait à dessiner et à représenter l'école dans des concours pour enfants. Cette mention honorable, l'étonnait beaucoup plus qu'elle la flattait. En fait, elle ne savait même pas pourquoi on l'appelait «l'artiste». Puis, elle s'est frayée un chemin vers la création; un chemin qui semble tout tracé au préalable tel un destin qu'on vit sans se poser de questions. Elle a suivi des études en modélisme de haute couture, puis en prothèses dentaires. Quel rapport? Aucun semble-t-il, excepté la passion pour des domaines qui lui font plaisir. Elle voulait pourtant se spécialiser en beaux-arts, une option scolaire qui lui a été refusée sans pour autant lui causer une grande déception. «Tant mieux, car je préfère me donner à la création artistique sans avoir à suivre des techniques dictées par les professionnels ni entrer dans des moules prédéfinis. Je préfère en effet vivre avec et de mes émotions», indique-t-elle. Sa première participation aux expositions collectives d'art plastique remonte à 1993 où elle a dévoilé ses tableaux dans le cadre de l'exposition «Ribat» à Monastir. Depuis, elle a accumulé les apparitions dans les évènements culturels et plastiques, en particulier, à l'échelle nationale et à l'étranger. Actuellement, elle expose ses peintures à la Maison des cultures magrébines Ibn Khaldoun à Tunis. Avec le temps... Avec le temps, tout se retrace: la mémoire, les souvenirs, le vécu, l'entendu, le parler. Telle est l'essence de l'exposition intitulée « Avec le temps », inaugurée au début du mois et qui se poursuit jusqu'au 14 novembre, à la Maison des cultures maghrébines Ibn Khaldoun à Tunis. Une panoplie de peintures différentes les unes des autres du point de vue thématique mais qui se rejoignent comme dans un chœur émotionnel. C'est probablement cette relation d'amour irrésistible entre le mélange savant des couleurs finement posées sur la toile sans grand effet de la palette qui en dit long sur l'approche artistique de Amel Hajjar. «Telle une rivalité délicieuse qui me lie au tableau, une rivalité avide de plénitude tant de ma part que de celle de la création elle-même, la peinture me permet de donner, de transcrire les émotions et de les offrir au tableau qui me demande toujours plus», précise notre artiste peintre. Près d'une quarantaine de tableaux traitant comme sujet, la femme, dans l'univers de l'artiste, sont exposés. Le premier regard posé sur les toiles prête à la confusion. Est-ce un tableau, une production artistique figée ou s'agit-il simplement d'une vision vaporeuse, sortie tout droit d'un rêve merveilleux, où les mouvements oscillent, langoureusement, comme caressés par une brise de velours? Amel Hajjar ne peut définir exactement par quel moyen elle a réussi à finaliser chaque œuvre. Chaque tableau semble en perpétuelle reconstitution ou en perpétuel renouvellement. Le croquis initial n'étanche point la soif artistique du peintre, il nécessite ainsi une superposition généreuse de croquis qui se complètent, nourris de surcroît par la technique des complémentaires, soit l'amalgame des contrastes de couleurs. Le tableau baptisé «Vent de liberté» provoque un moment de jouvence, où le mouvement des roses qui se renouvellent est infini. Et comme si ce moment n'a pas su trouver, comme il se doit, sa concrétisation dans cette peinture, Amel en crée un autre, nommé «Vague de liberté», dans une continuité parfaite avec le premier, mais plus torride sans doute, où l'on découvre, à travers les roses en mouvement, un chemin vers un avenir meilleur. Le thème de la rose constitue le point focal de l'œuvre de Hajjar. «Pour moi, la vie est touffue de roses: tout ce qui relève de la vie rappelle les roses. Je me sens moi-même telle une rose», fait-elle remarquer. Pourtant, sa vie à elle n'a pas toujours été facile...celle d'une femme, d'une mère, d'une Tunisienne ancrée dans son identité, d'un peintre qui se veut le plus sincère tant avec la toile qu'avec soi-même. «Le retour» de la femme du champ de labeur n'est admis comme satisfaisant que lorsqu'il s'avère riche de regain, de sens. Ainsi, la toile nous propose-t-elle un personnage féminin qui revient sur son chemin, supportant sur le dos une cueillette indéfinie mais rassurante. Des roses et des ailes «Fleur nocturne», «Fleurs du champs», «Fleur du vent». Si certaines créations ne peuvent qu'être baptisées au nom de la rose, d'autres sont intitulées autrement. Cependant, cela n'empêche la prédominance incontournable et inéluctable, — semble-t-il — de cette flore artistiquement élégante et chatoyante. «Décollage» part d'une rose aux lueurs indéfinies, pour dessiner la silhouette sulfureuse d'une femme, de la Femme. «Au moment où je dessinais ce tableau, je me suis emportée dans une sorte de transe agréable qu'on appelle «l'extase». J'ai dessiné des bras levés vers le ciel comme pour ressentir ce besoin d'être libre de toute contrainte. Mais les bras ont vite cédé la place à des ailes gigantesques qui aspirent naturellement au vol. Décollage, ou la femme aux ailes, l'incertitude n'est aucunement dérangeante», souligne notre interlocutrice qui reprend cette position à la fois victorieuse et relaxante des bras levés vers le ciel dans un autre tableau. Cette victoire et ce bien-être, Amel Hajjar le doit beaucoup à sa conception de la vie, à sa passion pour ce qu'elle aime, à son fils dont elle est fière, à son père qui lui a fait découvrir alors qu'elle n'avait que quatre ou cinq ans le plaisir de retranscrire la nature sur une feuille de dessin et à sa patrie qu'elle aime tant.