Par Hamma HANACHI Une exposition de photos, une courte polémique. L'association espagnole Jiser, entendez Jisr ou pont, se veut un lien entre artistes des deux rives, elle a organisé une exposition de photographies d'art, 10 août-2 novembre, à Teruel, (nord-est de l'Espagne). Participants : Emir Ben Ayed, Zied Ben Romdhane, Wassim Ghozlani, Ismaël, Mouna Jemal Siala et Zied Zitoun. Des univers différents, des approches singulières : un regard porté sur l'actualité et des préoccupations artistiques modernes. Plus de 60.000 visiteurs espagnols, des interrogations, des débats, de l'étonnement et au final, une presse enthousiaste, un vif succès public et critique. Belle moisson, nos artistes s'exportent bien. L'exposition reprend du galon, intitulée «Chouf», Regarde ! Titre choisi par Xavier De Luca, commissaire chargé de cette opération pour dire que nous n'avons pas épuisé notre regard sur les scènes de la révolution. Vernissage le samedi 10, le public invité au B'Chira Art Center découvre les œuvres et les artistes. Surprise, étonnement : en signe de protestation contre l'organisation, un des artistes, vidéaste, cyber-activiste et critique, a décroché ses vidéos ; solidaires, deux autres le suivent dans sa démarche. Un os à ronger pour les réseaux sociaux qui s'en emparent, argument contre argument, la Toile s'emballe. Le landerneau artistique est en émoi Visite. Zied Ben Romdhane expose une série de photos appelée Zones d'attente (2011-2012). Frontières libyennes, Benghazi, la Kasbah de Tunis, des endroits porteurs d'une symbolique, celle d'un mouvement dans l'histoire. Des clichés en noir et blanc, nuit tombante, grands espaces, pas l'ombre d'un bâtiment, longue file d'hommes en attente à Ras Jedir, visages burinés, silhouettes fines, habits usés, l'attente de quoi? Une hypothétique promesse de départ, une rencontre avec un responsable ? Sûrement d'un ailleurs meilleur. Zones d'attente ou l'espace du rêve. Deux merveilleux clichés de foules immenses, compacts, le premier en noir et blanc, personnages captés à hauteur d'homme, vus de face, une multitude de touches grises, noires ou blanches. Devant ce spectacle, on remet des images en mémoire. Le deuxième cliché en couleurs, sur la place de la Kasbah, vue plongeante, hommes et femmes en prière, pleins de personnages, de formes humaines, de foulards colorés, de kamis, des têtes de face ou de biais, une démonstration initiée par les islamistes appelée Le vendredi de la colère. Qui s'en rappelle encore ? L'une des vertus de la photographie est de nous replonger dans le passé. Mouna Jemal Siala propose une série de travaux intitulée descente 2010. Séduction, clichés travaillés, regard féminin, Mouna a fait de sa démarche un style, repérable. Elle a commencé par montrer ses bébés (un triplé) qu'elle suivra année après année, attentive à son petit monde, à sa maison. Fidèle, elle continue à chroniquer assidument sa vie. Elle fera le saut pour se mettre elle-même en scène, l'intimité de son foyer disparaît depuis plus d'un an. Résultat : des autoportraits où elle voile et se dévoile à travers des images personnelles noyées dans une atmosphère vaporeuse. Quatre photos unies, une ombre au fond d'une plage de blanc, derrière le voile, la gaze, on fixe l'image, on scrute, le portrait apparait dans un flou étalé. Plus loin, un triptyque, encore son portraît, une voilette noire sur les yeux, un visage démultiplié qui forme une fleur. Naissance d'une autre figure voilée, Mouna déchire l'air du temps, compose et recompose son portrait, elle se définit «Ma vie et mon art sont indissociablement liés». Tout est dit. Emir Ben Ayed expose Contraste, 2012.Photos en noir et blanc, des lieux improbables, paysages urbains d'une désespérante tristesse, murs décrépis, personnages sans ressources, pauvres miséreux, solitaires et sans domicile. Images, malheurs des démunis, au cours de ses déplacements, Emir glane les portraits d'exclus comme d'autres cueillent des fleurs dans les champs. C'est sa manière, affirme-t-il «de s'inscrire activement dans la société et de militer pour un futur meilleur». Table ronde annoncée : photographie en Tunisie aujourd'hui, entre passion et profession. Un programme! Qui a dévié fatalement de son chemin et chuté sur l'absence des trois artistes et le décrochage des œuvres. Xavier de Luca motive son refus d'exposer l'une des vidéos proposées «Il n'est pas question de censure mais c'est un devoir de précaution», précise-t-il, à sa droite, Hamidedine Bouali, photographe, fait feu de tout bois, il va dans le même sens et en fait des tonnes, frôlant des idées rabâchées, Mohamed Ben Soltane, responsable au Centre B'Chira, relate les événements, regrettant au passage la politique «de la chaise vide», l'absence de débat entre artistes. «Nous respectons la liberté totale de l'artiste, mais le commissaire et le galeriste ont un regard et un avis quant au choix des œuvres, ils sont responsables devant la loi», affirme-t-il. La salle semble donner raison au commissaire de l'exposition. La discussion titube, se délite et se termine, hélas ! en eau de boudin, rien de concret ne s'en est dégagé. Conscients de l'impréparation de la réunion, les invités changent le cours de la discussion. Il est vrai qu'il s'agit ici d'un sujet sérieux, vite expédié.