L'amateurisme, à ses toutes premières années, est plus ou moins compréhensible. Mais au-delà de vingt-huit éditions, il frise le ridicule... Il était 17h35, avant-hier, sur les marches de la salle Le Colisée. Incroyable est le nombre de spectateurs venus dans l'espoir de voir le dernier film de Nouri Bouzid intitulé Beautés cachées. On peut multiplier à l'infini les raisons qui ont drainé un public si nombreux. D'abord, lui, le réalisateur, qui a à son actif le plus grand nombre de films (huit). Ensuite, un film tunisien, à sa première sortie, constitue toujours un événement. Enfin (ce n'est jamais enfin), un film de Nouri Bouzid, sélectionné dans la compétition officielle de cette 29e édition des JCC, devient un double événement. Revenons. Il est donc 17h35. Un monde fou est sur les interminables marches de la plus grande salle de Tunis. Les agents chargés du contrôle d'accès à la salle affichent une mine nerveuse. On croit comprendre que c'est déjà la fatigue. Mais non, ça ne peut pas être le cas, nous ne sommes qu'au premier soir des...Journées, si l'on excepte l'ouverture (vendredi 16). Alors, quoi ?! ... Alors rien, personne n'a rien compris. Bousculade. Du coude au coude. Les uns dévalant les marches, déçus ; les autres remontant au sommet, décidés à aller jusqu'au bout. Sauf qu'il arrive un moment où, bon gré mal gré, doivent enfin s'éclaircir les choses. Cela commence avec les représentants des médias en face desquels lesdits chargés de l'accès sont catégoriques : «Et surtout pas la presse ! Excusez-nous !!...». Quoi comprendre ? Quoi penser ?... Les journalistes à la porte (trop de billets vendus)?!... Il n'aura plus manqué que cela. Mais c'est alors que le bruit feutré des coulisses commence à filtrer : «Le film de Nouri Bouzid est annulé». Les explications les plus floues et les plus folles commencent à courir : «Le code anti-piratage, ou carrément de lecture de la copie n'aurait pas été livré à temps par le coproducteur français», avancent les uns. D'autres chuchotent que ce code aurait été changé à la dernière minute par le même partenaire, pour des raisons que personne ne connaît. Certains affirment même que c'est Bouzid lui-même qui a annulé la projection parce qu'il a été hué par quelques présents la veille, lors de la cérémonie d'ouverture. Vraiment ?... C'est vraiment ça la raison de ce faux bond? Quoi qu'il en soit, faisons un petit récapitulatif. La toute première édition des JCC après la révolution tunisienne commence, dès son ouverture (vendredi 16) par un manque de tact inadmissible. Le directeur de cette 29e édition présente au micro la manifestation en présence du ministre de la Culture qu'il ne cite même pas. Voilà ! Nous sommes revenus au stade où, tels des enfants inexpérimentés, nous annonçons au grand public un spectacle qui, finalement, ne va pas avoir lieu. Au moment même où beaucoup de Tunisiens se demandent pour quand la véritable révolution culturelle, nous en sommes encore, dans la gestion ordinaire de telles manifestations, à l'état où on cherche à snober un ministre, à rater un spectacle, à humilier le public en lui annonçant à la figure que «c'est annulé» tout comme si c'était une belle blague. Un festival qui démarre avec un si cuisant ratage, que faudrait-il s'y attendre ? Et puisque nous y sommes, continuons. Car il y a eu d'autres aberrations. Cette manifestation — cinématographique, donc pour tous les Tunisiens, mais surtout pour tous les artistes — a négligé d'inviter le syndicat indépendant des arts dramatiques, le syndicat professionnel relevant de l'Ugtt, et toutes les structures représentant le cinéma et le théâtre dans le pays. Sans parler de l'inadmissible bévue d'avoir omis d'inviter le tout premier Tunisien à avoir réalisé un film tunisien, Omar Khlifi. Comment comprendre que la Tunisie est soudain devenue ingrate envers ses propres enfants ? Espérons que nous n'aurons plus à revenir sur de telles fausses notes inqualifiables.