Par Hatem M'RAD* Le régime tunisien provisoire d'après le 23 octobre fonctionne politiquement comme un régime parlementaire. Le gouvernement est issu du parti majoritaire à l'Assemblée constituante. La même majorité (islamo-troïkiste) a la mainmise à la fois sur l'Assemblée constituante et le gouvernement. Mais la direction effective du système revient au gouvernement dirigé par un chef, censé être le chef du parti majoritaire. Rached Ghannouchi, le président d'Ennahdha, a préféré que Hamadi Jebali soit le Premier ministre. La volonté de Jebali est alors politiquement parlant celle de Ghannouchi et celle du parti et celle de la majorité. Mais, les régimes parlementaires sont aussi des gouvernements d'opinion, qui doivent avoir sur l'essentiel la confiance régulière de l'opinion. C'est en tout cas l'esprit de tels systèmes. Lorsque les gouvernements sont spectaculairement désavoués par l'opinion, lorsque le Parlement risque à son tour de voter une motion de censure contre lui, les gouvernements présentent leur démission ou cherchent à dissoudre généralement le Parlement, en organisant des élections législatives anticipées. En Tunisie, le gouvernement ne peut dissoudre l'Assemblée constituante d'après la loi constituante du 16 décembre 2011 relative à l'organisation provisoire des pouvoirs publics, mais il a toujours la possibilité, s'il a une haute idée de sa mission, de présenter sa démission à l'Assemblée constituante, parce qu'il a échoué politiquement à gouverner et à gérer la transition. Mais, une motion de censure peut être adoptée contre le gouvernement, d'après l'article 19 de la même loi constituante, par l'Assemblée constituante par un tiers au moins de ses membres, lorsqu'elle lui retire sa confiance. En cas d'adoption du retrait de confiance, le gouvernement est réputé démissionnaire. En Tunisie, tout le gouvernorat de Siliana a retiré sa confiance au gouvernement et au Premier ministre. Le peuple tunisien, du nord au sud, s'est solidarisé avec Siliana (on scande partout: «birrouh, biddem nifdik ya Siliana») et avec les victimes des coups de feu de la police, comme si la misère ne suffisait pas à leur condition. Le gouvernement ne veut toujours pas démissionner, il préfère retirer le gouverneur, lequel gouverneur passe d'un coup du statut de «protégé» à celui de bouc émissaire. Alors la question qui se pose aujourd'hui est : qu'attend encore l'Assemblée constituante pour retirer sa confiance au gouvernement, qui n'a plus la confiance du peuple, qui l'a désavoué, outre le fait que le chef du gouvernement s'est désavoué lui-même, puisqu'il s'est engagé vis-à-vis de l'opinion de démissionner si jamais on lui retire «son «gouverneur, et il ne l'a pas fait encore après la mise à l'écart de «son» gouverneur. L'Assemblée a été élue démocratiquement pour rédiger une constitution et son gouvernement accumule les morts et les martyrs de la transition derrière. On appelle cela «la responsabilité politique».... C'est vrai que les islamistes sont responsables devant Dieu. *(Professeur de science politique)