Certains bouchers sans scrupule voulant à tout prix réaliser des profits peuvent-ils écouler de la viande rouge provenant de veaux et de vaches atteints de jaunisse? Cette hypothèse pourrait être d'autant plus probable qu' il y a quelques mois des quantités de viande ictérique ont été saisies à Ben Arous et retirées du circuit de distribution. Idem dans la Cité d'El Mourouj où plus de 30 kg de viande provenant de bovins malades ont été rapidement retirés du marché. C'est du côté de La Manouba que la rumeur circule aujourd'hui: des bouchers procédant à l'abattage sans contrôle, bafouent souvent les règles élémentaires d'hygiène et ne se débarrassent pas des bovins malades acquis auprès de petis éleveurs au rabais, préférant, plutôt que de jeter la viande, l'exploiter pour confectionner merguez et saucissons. Il faut remonter la filière pour comprendre d'où proviennent ces bovins malades. Afin de réduire les dépenses, des petits éleveurs préfèrent plutôt que d'abattre leurs bovins dans les abattoirs, les vendre directement à des petits bouchers sans les faire contrôler par un vétérinaire car cela leur revient cher. «Ces bouchers ne sont pas nombreux. Ce sont des bouchers clandestins qui font leurs achats auprès de petits éleveurs et qui abattent leurs animaux dans des conditions insalubres sans se rendre à l'abattoir afin de ne pas payer de taxe municipale. Ils les acquièrent à un prix moins cher et ils échappent, par ailleurs, à toute surveillance et à tout contrôle sanitaire ce qui leur permet de réduire leur coût. Ils ne respectent aucune règle d'hygiène. Ils les égorgent dans des garages, dans des locaux à l'abri de tout contrôle. Ces bouchers ne peuvent pas se rendre compte que le bovin est malade». Un autre boucher depuis 30 ans à Bab Souika, M. R., boucher de son état, ne nie pas l'existence de ces vendeurs clandestins mais met, cependant, un point d'honneur à souligner que leur nombre est réduit et ne peut augmenter dans la mesure où toute la filière est soumise à un contrôle strict auquel les boucheries clandestines ne peuvent échapper. «Plus de 90% des bouchers achètent et abattent le nombre de bovins dont ils ont besoin dans les abattoirs. Ces bêtes sont abattues en présence d'un vétérinaire. Nous recevons avec le bon d'achat, une attestation du vétérinaire prouvant que le bovin, après son abattage a été soumis à un contrôle sanitaire certifiant qu'il est exempt de toute maladie. Nous présentons ces papiers aux agents qui viennent effectuer un contrôle de l'établissement et des carcasses et de la viande qui sont exposés». Dans chaque arrondissement et chaque localité, une équipe relevant de la direction du contrôle économique et composée d'agents du contrôle économique et d'un vétérinaire effectuent quotidiennement une tournée afin d'inspecter dans des points de vente, les carcasses, la viande et effectuer également un contrôle des prix. Plusieurs tournées ont été effectuées par l'équipe de contrôle relevant de la direction économique de La Manouba qui a démenti la rumeur évoquant un éventuel écoulement de viande atteinte de jaunisse, sous forme de merguez et de saucissons, dans des points de vente clandestins dans la région de La Manouba. «Une telle rumeur est infondée, note un responsable au niveau de la direction du contrôle économique. Des tournées sont effectuées quotidiennement par des équipes du contrôle économique qui ratissent les moindres coins et recoins de la région pour inspecter les prix et la qualité de la viande dans les points de vente». Un simple contrôle de routine Au cours d'une tournée de routine, l'équipe d'inspection composée du chef d'arrondissement de la production animale de La Manouba, de deux autres vétérinaires et d'un agent relevant de la direction économique ont effectué une visite d'inspection à deux boucheries du centre commercial Essayda. Dans la première boucherie, tout semble en apparence conforme aux normes: derrière la devanture propre, des grosses carcasses pendent au bout de gros crochets de fer. Après avoir inspecté la propreté de l'établissement et les conditions de réfrigération et d'exposition des divers produits, afin d'en vérifier la qualité et la fraîcheur, l'un des vétérinaires demande à consulter le bon d'achat afin de vérifier que l'abattage des ovins et des bovins exposés dans le local s'est bien déroulé dans un établissement homologué. Le boucher est dans les normes: le bon d'achat prouve que les carcasses proviennent bien de l'abattoir et qu'elles ont été contrôlées par le vétérinaire de l'établissement qui, après avoir vérifié que tous les organes ne sont atteints d'aucune maladie, les a estampillés. Il reste que le boucher a préparé de la viande de saucisse de façon artisanale, alors qu'il n'est pas autorisé à le faire dans son établissement ce qui lui a valu un avertissement de l'équipe qui l'a prévenu qu'il écopera la prochaine fois d'une amende si ce produit continue a être fabriqué et commercialisé dans des conditions non conformes aux normes. L'équipe poursuit son inspection et visite une autre boucherie se trouvant dans le Centre. L'établissement semble propre, mais les grosses carcasses de bovins, pendant au bout de crochets de fer et dégoulinant de sang ne sont pas estampillées ce qui soulève les soupçons de l'équipe du contrôle économique qui demande à consulter le bon d'achat afin de vérifier que les carcasses proviennent bien de l'abattoir. Les vétérinaires de l'équipe haussent le ton et une vive discussion éclate entre ces derniers et le boucher, qui jure, ses grands dieux que les carcasses proviennent bien de l'abattoir et qu'elles ont été contrôlées par le vétérinaire. Bouchers clandestins agressifs L'équipe décide, alors, de se rendre sur place afin de vérifier l'information auprès du médecin de l'abattoir qui dément fermement avoir contrôlé la marchandise. «Il est vrai que le cachet fait avec une encre spéciale peut s'effacer au contact de l'eau car elle est de mauvaise qualité, explique le vétérinaire de l'abattoir. Mais, il reste tout de même une trace. Comme le confirme le bon d'achat, ces animaux ont été abattus ici, mais ils n'ont pas subi de contrôle vétérinaire pour la simple raison que les bouchers viennent très tôt avant que je n'arrive afin d'égorger rapidement les bestiaux en leur possession et éviter de perdre du temps en passant par le contrôle vétérinaire. C'est pour cette raison que ces carcasses n'ont pas été estampillées. Le problème, c'est que le gérant de l'abattoir laisse faire et ne se soucie pas de soumettre les animaux au contrôle sanitaire». Après la révolution, l'abattage clandestin a pris de l'ampleur encouragé par le relâchement sécuritaire et la passivité «forcée» de certains agents. Ces derniers ne peuvent plus effectuer convenablement leur travail, en raison de l'insécurité dans certaines zones, à l'instar de Oued Ellil et Sidi Hassine Sijoumi où les bouchers narguent ouvertement les autorités locales et procèdent, de surcroît, à l'abattage dans des conditions insalubres, sans respecter les normes. «Après la révolution, les bouchers sont devenus très agressifs. Ils ne craignent plus les agents du contrôle économique, relève pour sa part M. Hatem Ghdira, chef d'arrondissement de la production animale au commissariat agricole de La Manouba. Il y a des zones où nous sommes obligés de nous rendre accompagnés par la police et l'armée pour pouvoir pénaliser les bouchers contrevenants. Et ce n'est pas facile tous les jours car ces derniers rejettent toute tentative de dialogue et nous accueillent munis d'armes blanches». La maîtrise de l'abattage clandestin passe par la réorganisation de la filière et un renforcement du contrôle sanitaire au niveau des abattoirs et des élevages d'ovins et de bovins, afin d'éviter le risque de propagation de maladies d'origine animale, note, par ailleurs, l'inspecteur divisionnaire. Un plan directeur est notamment prévu pour 2014 prévoyant un réaménagement des abattoirs afin que l'abattage se déroule dans des conditions plus rigoureuses et plus conformes aux normes établies par la loi d'élevage. «Nos abattoirs sont loin de ressembler aux abattoirs européens. L'abattage des animaux ne se déroule pas dans des conditions aussi drastiques de celles de ces abattoirs. Il y a des choses à revoir notamment sur le plan sanitaire. A titre d'exemple, citons le cas des animaux qui sont conduits à l'abattoir. L'abattage ne doit pas se faire le jour même. Les animaux doivent être conduits un jour avant à l'abattoir afin d'être soumis à un contrôle ante mortem. Ils doivent être mis sous diète et abattus, ensuite, le lendemain. Une inspection post mortem est ensuite réalisée afin de contrôler l'état des organes, des abats....Or, dans les abattoirs, on abat le jour même les animaux alors qu'ils viennent de manger. Ce qui peut favoriser le passage de bactéries dans la viande. Il faut que les conditions d'abattage soient revues».