La transplantation d'organes est pratiquée depuis 1986 en Tunisie, avec la première greffe rénale réalisée par l'équipe de l'hôpital Charles-Nicolle. Depuis, l'activité n'a pas décollé. Les raisons de ce faible développement ne sont pas uniquement liées aux donneurs, mais aussi au système de fonctionnement des structures hospitalières, autorisées à pratiquer la greffe. Explications. «J'ai 31 ans, j'ai été greffé il y a un mois et un jour. Ma mère m'a donné un rein parce que j'avais une insuffisance rénale chronique. Avant la greffe, j'ai suivi un traitement de deux ans par dialyse péritonéale à domicile. C'était contraignant, je ne me sentais pas libre, en plus d'être tout le temps fatigué. Aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir rajeuni de dix ans. Je reprends une vie quasi normale !». Voilà le témoignage d'un jeune homme pour qui un nouvel avenir est rendu possible, grâce à la transplantation d'organes. L'opération, qui n'est pratiquée qu'en dernier recours, permet de sauver la vie des malades, sinon d'en améliorer la qualité. Alors même que les dispositions matérielles, techniques et juridiques permettent de mener à bien l'activité de greffe, cette dernière reste très en deçà des besoins. Pour la greffe rénale par exemple, on estime à 3.000 le nombre de malades qui nécessitent une transplantation. Seulement 353 d'entre eux ont bénéficié d'une greffe, jusqu'au 31 décembre 2011. Plusieurs facteurs sont à l'origine de ce problème, qui relèvent de l'organisation dans les hôpitaux, d'une part, et des mentalités ou des croyances, d'autre part. Manque d'organisation Les organes peuvent être prélevés soit sur des donneurs vivants, soit sur des donneurs en mort encéphalique. En Tunisie, la première option est adoptée trois fois plus souvent que la seconde. En 2011, sur les 600 cas de mort encéphalique estimés, seuls 6 prélèvements ont été effectués. Le taux de prélèvement, autour de 4 à 5 par million d'habitants, est très faible, comparé à d'autres pays comme l'Espagne (32 par million d'habitants) et la France (23 par million d'habitants). Le problème que cela engendre est la non-disponibilité d'organes qui ne peuvent être prélevés sur des donneurs vivants. Le cœur, par exemple, n'a été transplanté que 17 fois depuis la première greffe en 1993, contre 1.245 pour les reins, depuis 1986. Ceci est dû, entre autres, à l'absence de coordination rapide et efficace entre les différentes parties, administrations, laboratoires et services, au sein des hôpitaux. « Le fonctionnement de l'hôpital tunisien se fait selon des politiques individuelles et non pas selon les besoins de l'hôpital et des malades en général », explique le Pr Hafedh Mestiri. Autre problème évoqué par le professeur, la difficulté d' « injecter» davantage de personnel dans les hôpitaux, alors que des spécialités entières, comme l'anesthésie- réanimation et la chirurgie cardiaque, sont en train de disparaître. « Tout cela nécessite qu'on s'y attelle, parce que ça retentit directement sur l'activité de transplantation et de prélèvement d'organes », prévient-il. Croyances mal fondées et déni Tous les citoyens tunisiens, qui n'ont pas manifesté leur refus de donner des organes après leur décès, sont considérés, selon la loi n°91-22 du 25 mars 1991, comme donneurs présumés, même si leurs cartes d'identité nationale ne portent pas la mention « donneur ». Ceci étant dit, rien ne peut être fait sans l'aval de la famille et, dans la plupart des cas, celle-ci refuse. Selon une enquête réalisée par le Centre national de promotion de la transplantation d'organes, entre 2006 et 2007, près de la moitié des personnes interrogées n'accepteraient pas de donner leurs organes après leur mort. En tête de liste des déterminants du refus, l'atteinte à l'intégrité du corps ainsi que des considérations religieuses. Concernant ce dernier point, le Pr Sassi Ben Halima, juriste, assure pourtant qu'il n'y a aucun texte dans le droit musulman interdisant la transplantation d'organes. « L'immense majorité des cheikhs, aujourd'hui, s'accordent à dire que le don d'organe est permis. Pour ce qui est du prélèvement à partir d'un donneur en mort encéphalique, il faut qu'il y ait consentement de la personne concernée de son vivant ou, à défaut, celui des héritiers». Rym Rafrafi, psychiatre, donne une autre explication au refus. Selon elle, l'idée de donner un organe est inhérente à celle de la mort et suscite, donc, comme première réaction, le déni. «Avec le temps, on peut changer d'avis, mais une période de réflexion doit être donnée, de préférence en amont de la prise de décision. Pour cela, il faudrait que le sujet de la transplantation d'organes soit évoqué de façon répétée, à l'école, au lycée, à la maison et partout dans les médias. De cette manière, on dépassera les réactions primitives ». Miser sur la communication Communiquer sur la transplantation d'organes, de telle manière à habituer les citoyens à en entendre parler, pourrait diminuer les appréhensions envers cette pratique. De plus, une information juste, claire et précise relayée à travers les médias ou à l'occasion de manifestations dans l'espace public, pourrait inciter les gens à réfléchir sur la question et les aider à prendre une décision éclairée sur le don. «L'information et la sensibilisation sont sans aucun doute la pierre angulaire de tout programme de transplantation», déclare le Pr Bardi Rafika, trésorier-adjoint de l'Association tunisienne de sensibilisation au don d'organes. L'Atsado agit sur tout le territoire tunisien, pour sensibiliser, expliquer et divulguer les informations autour de la transplantation d'organes et les problématiques qu'elle soulève au sein de la société. «La promotion de la greffe d'organes en Tunisie nécessite une cohésion entre tous les acteurs impliqués dans la chaîne, depuis la sensibilisation jusqu'à la transplantation », affirme Bardi. Réformer le système de fonctionnement des hôpitaux, engager un débat national, conjuguer les efforts, sont là des solutions qui pourraient développer l'activité de transplantation d'organes. Une activité qui cristallise ce qu'il y a de plus noble chez l'Homme, à savoir la générosité et le partage, et qui représente, avant tout, une aventure humaine extraordinaire.