De Aïn Draham, sur les collines montagneuses du Nord-Ouest, a commencé une visite sur le terrain qui a conduit directement aux confins de la délégation de Fernana. La Banque mondiale, principal bailleur de fonds dans la région depuis trente ans, a eu l'occasion de se rendre compte des investissements agro-forestiers colossaux injectés au profit des habitants. A la direction régionale de l'Office de développement sylvo-pastoral du Nord-Ouest (Odesypano), initiateur des différents projets réalisés, une carte des zones d'intervention à l'échelle du gouvernorat de Jendouba est présentée. 92 mille habitants seront touchés par la quatrième phase du projet de développement des zones montagneuses et forestières des régions nord-ouest de la Tunisie, financé par la Banque mondiale à hauteur de 41, 6 millions de dollars, sur une période de six ans (2011-2016). Il faut rappeler à ce propos que le projet a démarré en 1981, date de création de l'Odesypano, à l'effet de lutter contre la dégradation des terres et l'extrême pauvreté d'une population locale , déjà trop fragilisée. Depuis, l'Odesypano a renforcé son dispositif humain et logistique pour couvrir toutes les régions du Nord-Ouest, qui représentent, rappelons-le, 75% des ressources hydriques et plus de 50% des superficies forestières du pays. Il s'est engagé à désenclaver ces zones d'ombre et leur donner les moyens nécessaires pour vivre dignement. Pourtant, et malgré tous les efforts consentis , les besoins les plus vitaux des habitants sont loin d'être totalement satisfaits. Certains estiment à ce niveau que l'enveloppe allouée par la Banque mondiale et gérée par l'Odesypano reste insuffisante (100 MD sur trois tranches). Reste que pour d'autres, l'office se doit de mettre les bouchées doubles pour finaliser certains projets encore en instance. A ce niveau, l'on apprend qu'au cours de la quatrième tranche du projet (2011-2016), l'Odesypano compte étendre sa carte d'intervention à trois secteurs supplémentaires pour couvrir au total 26 imadas(arrondissements), identifiés dans quatre délégations du gouvernorat: Aïn Draham, Ghardimaou, Tabarka et Fernana. Cette dernière est l'une des rares zones forestières et montagneuses qui a bénéficié d'un certain nombre de projets agro-forestiers . Cependant, selon les habitants, l'ensemble de ces réalisations n'a pas beaucoup amélioré la distribution en eau potable et l'infrastructure de base. «A l'exception de quelques interventions timides, beaucoup reste à faire au niveau de l'eau potable et de l'aménagement des pistes », témoigne Taoufik, habitant de Oued Ghzala, qui travaille au sein d'un groupement d'intérêt commun (GIC), et auquel a été confiée la gestion de l'eau d'irrigation. «Afin de s'approvisionner en eau potable, nous parcourons trois kilomètres à pied ou à dos d'âne pour atteindre des sources d'eau, aménagées en fontaines publiques à qualité médiocre», affirme le jeune homme de trente ans. En parallèle, l'on pense que les points d'eau sont souvent inaccessibles. Un constat qui a été confirmé par Mme Beya Khdhiri, animatrice de projets et qui assure le relais avec la population locale. « L'entretien de ces sources naturelles ne se fait pas régulièrement . La situation est donc difficile, mais non sans espoir. La région ne manque pas de ressources en eau, il faudrait juste y développer le réseau de la Sonede». D'autres personnes reconnaissent que l'Odesypano n'a pas lésiné sur les moyens pour assurer à cette localité un certain niveau de vie et de revenus. Ses interventions ont touché la conservation des eaux et des sols, la lutte contre l'érosion, le remembrement des parcelles agricoles et l'aménagement des pistes et des sources d'eau. «Cela fait des années que l'office nous avait fourni des plants d'oliviers, en guise d'aides aux petits agriculteurs. Vous voyez, aujourd'hui, les champs d'oliviers portent leurs fruits...», note un habitant de la région. Am Salah, père de cinq filles, a hérité d'une douzaine d'hectares de terre pour la grande culture, et a en sa possession quatre vaches, s'attend à ce « que l'office puisse nous assurer un cadre de vie décent ». Pour lui, « Toutes ces revendications aussi légitimes les unes que les autres seront prises en considération lors de la mise en œuvre de la quatrième phase du projet de développement de ces zones», affirme M. Abdallah Rejaibi, directeur régional de l'Odesypano à Jendouba. Il reconnaît toutefois que, entourées des barrages de Bouhertma, Barbara et Beni Mtir, ces localités rurales n'ont pas accès à l'eau potable, du fait de leur caractère montagneux alors que leur raccordement au réseau de la Sonede exige des coûts faramineux. Quant à l'exploitation de la nappe phréatique, elle est assez complexe. «Ce sont des contraintes techniques et matérielles qui nous ont empêchés d'alimenter ces régions en eau potable», explique le responsable, appelant les différentes parties intervenantes à coopérer et à conjuguer les efforts pour pallier à ce problème. En plus de cette question d'eau, d'autres problèmes sont en encore en suspens. A «Om Alia», un des hameaux d'Oued Ghrib, dans les confins montagneux de Fernana, la population vit totalement dans la précarité. L'unique école dont dispose la localité se trouve dans des conditions insupportables. Quant au dispensaire de la région, il n'y a ni médicaments, ni médecins. Les habitants assurent que plusieurs malades ont rendu l'âme avant même d'y arriver, faute de moyens de transport et de communication. Ce constat est d'autant plus préoccupant que la Banque mondiale ne finance pas les projets éducatifs et de santé. Deux secteurs vitaux qui ne relèvent pas non plus du champ d'action de l'Odsypano. De ce fait, le projet de développement local aurait certainement gagné en fiabilité et efficacité s'il avait été basé sur une approche participative qui implique d'autres partenaires : les ministères de l'Education et celui de la Santé publique, entre autres. Ces promesses seraient-elles tenues? La population locale de Sidi Ammar, à Fernana, se plaint elle aussi des conditions de vie difficiles. Le comité local de développement n'a visiblement pas été à la hauteur des défis posés, et n'a pas été à l'écoute des 800 familles que compte la localité. D'où l'élection d'un nouveau comité local. Un de ses membres actifs, Mosbah Khémiri, jeune natif de la région et professeur de mathématiques, s'est volontairement consacré, aux côtés de ses collègues, au service de ses concitoyens. «En coordination avec l'Odesypano, nous sommes parvenus à aménager une piste agricole à Oued Echham et prévoir deux autres projets similaires», dit-t-il, soulignant que la création de ces pistes permet aux petits éleveurs de faciliter le transport de leurs produits laitiers jusqu'au centre de collecte . «En plus des plants d'oliviers, nous allons probablement distribuer des arbres fruitiers aux habitants », confie Khémiri. Tout cela pourrait soulager la population de la pauvreté, mais avec de l'eau potable, la vie serait certainement meilleure. Malgré les promesses engagées pour 2012, l'aménagement des sources d'eau déjà existantes n'a pas encore été réalisé. «Aïn Lansas, source située loin à quelques kilomètres des douars, demeure un gîte d'insectes et des grenouilles», déplore le collègue de Khémiri. Autres difficultés de développement local, la réticence des entrepreneurs à intervenir dans ces zones montagneuses et leur refus de signer des marchés publics dans le domaine d'aménagement des pistes. Cela est dû, selon M. Rejaibi, à l'inaccessibilité du terrain et la vulnérabilité de l'environnement .