L'Iran est-il une grande énigme ? D'un côté, on le connaît pour son régime tyrannique; de l'autre, il n'est pas dénué d'une certaine démocratie Le professeur de relations internationales et d'histoire à l'Université de Boston, Houchang Chehabi (de père iranien et de mère allemande), a donné mercredi dernier une conférence qui s'est articulée autour de la révolution iranienne et où il a essayé de répondre à la question suivante : «l'Iran a-t-il réussi à instaurer une démocratie islamique?». Dans la première partie de son exposé, Chehabi a essayé de donner une idée sur la nature et les mécanismes du régime politique iranien depuis la révolution de 1979. Dans la seconde, il a expliqué cette concurrence et ces tensions, nées au fil des ans, entre les différents partis politiques, notamment lors du règne du Shah, à l'époque de Ayatollah Khomeyni et actuellement avec Ahmadinejad. Le conférencier a consacré le troisième axe à la grande interrogation relative à l'échec ou à la réussite de l'expérience démocratique, ainsi qu'à la comparaison avec la révolution tunisienne. Présentant l'Iran comme le pays des contradictions, depuis la révolution de 1979, il a évoqué le système électoral, synonyme de démocratie, qui jure avec l'exclusion de différents partis politiques, en particulier la gauche et les laïcs, lors des élections. Pourtant, ces derniers ont contribué à la réussite de cette révolution, d'où son aspect «mixte», mi-religieux, mi-avant-gardiste. En effet, une coalition s'est spontanément constituée contre le Shah, avec les pro-Khomeyni qui dénonçaient, entre autres, la marginalisation de la religion, d'un côté, les laïcs et les démocrates (le front national, composé d'intellectuels, de l'extrême gauche et du parti communiste iranien) qui réclamaient essentiellement le droit aux libertés fondamentales et à la dignité, de l'autre. C'est ainsi qu'avec la mainmise des islamistes sur le pays, ces derniers ont été confrontés ouvertement à la gauche à partir de 1981. Deux ans après, il y a eu une réunion d'experts dans plusieurs domaines avec les cheïkhs et une polémique s'est installée entre eux sur plusieurs points, comme le Code du travail, par exemple, que les religieux voulaient conforme à la charia. Dès lors, on a commencé à assister à une prolifération du langage typiquement religieux. Par ailleurs, et pendant le règne de Khomeyni, d'autres groupes se sont formés et il y a eu lieu une grande division entre les différents partis politiques: certains se sont alliés avec les libéraux, d'autres avec les marxistes, alors que le Guide se battait et réussissait à instaurer un régime théocratique et à déclarer l'Iran pays islamique. Pendant les années 1990 et après la mort du Khomeyni, les radicaux ont essayé d'introduire quelques réformes, provoquant une certaine effervescence, notamment chez les jeunes, ce qui s'est répercuté sur la culture iranienne qui a connu un grand essor, surtout le cinéma. Pendant les années 2000, l'Iran a connu l'émergence de nouveaux courants idéologiques et politiques, dont le mouvement des Verts. Tous se sont trouvés, à un moment ou à un autre, confrontés aux fondamentalistes. Les heurts et les violences, qui s'en sont suivis, sont, aujourd'hui, considérés par beaucoup d'Iraniens comme le précurseur du «Printemps arabe». Pour conclure, l'Iran est aujourd'hui loin d'être un pays démocratique, malgré les mutations qu'il a connues et l'absence d'un parti totalitaire. En effet, le système d'exclusion est toujours présent et la grande partie du pouvoir est détenue par les religieux chiites. Un exemple édifiant, dans ce sens : à Téhéran qui compte 15 millions d'habitants, on ne trouve aucune mosquée sunnite. Aussi, peut-on dire que la révolution iranienne n'a pas instauré la démocratie, en dépit de l'existence, jusqu'à nos jours, d'un grand pluralisme politique et d'une grande diversité d'opinions. «Le système politique est un mélange curieux de différentes idéologies», a affirmé le professeur au terme de son intervention.