L'Iran, qui a réussi, depuis la fuite du Shahinchah et le triomphe de la révolution islamique en 1979, à exploiter, dans toute la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, la veine de la colère et du défi, propre aux peuples longtemps soumis, méprisés et humiliés, a soutenu et appuyé, sans réserve, comme c'était prévu, le soulèvement des masses en Tunisie, au Yémen, au royaume du Bahreïn et en Egypte. La ferveur a même poussé le guide, Ayatollah Kameiny, à s'adresser en arabe aux fidèles, dans son prêche hebdomadaire du vendredi. Afin de rendre hommage à la jeunesse tunisienne. Qui s'est inspirée, a-t-il dit, dans son élan révolutionnaire, de l'enthousiasme et de la bravoure des Iraniens à la veille de la chute du shah en 1979. Au courage des foules égyptiennes. Eprises de liberté. A l'abnégation des Yéménites. De tout temps rebelles et frondeurs. A la fougue des Bahreïnis. Confrontés, désormais, à l'union sacrée des monarchies du Golfe. Tout en demeurant silencieux vis-à-vis des aspirations du peuple syrien, de son exaspération, de son ras-le-bol et de ses martyrs, dont le nombre trahit la face hideuse d'un régime d'un autre âge, congelé, sûr de lui et dominateur, incapable d'intégrer et d'assimiler la dynamique démocratique en cours dans le monde arabe. Comment expliquer la position de Téhéran, hérault des révolutionnaires, des marginaux et des déshérités depuis des décennies? Supporter, nous dit-on, inconditionnel des peuples musulmans asservis, assujettis à des gouvernements prédateurs? Pourquoi cette politique des deux poids, deux mesures, tant décriée sur la scène internationale? Existe-t-il, dans ce cas-là, un risque pour l'Iran, qui a toujours porté en bandoulière la noble bannière des peuples en révolte et fait de l'incantation volontariste un élément de l'identité nationale, perdre, son aura et son prestige dans le monde arabe sur l'autel de la realpolitik et des intérêts endurants de la Perse éternelle? Car, in fine, dans les relations internationales, souvent, qui veut faire l'ange fait la bête. Eh oui! Le monde va rester dur. Très dur. Loin des idéalistes bêlants. Le positionnement politique des Etats et des puissances régionales est un prolongement fidèle du monde de la géopolitique réelle, avec ses rapports de force et ses luttes d'influence. Car, finalement, l'alliance indéfectible entre les mollahs de Qom et le régime alaouite de Damas a survécu au massacre des frères musulmans de Homs au début des années quatre-vingt. A l'élimination de certains mouvements politiques favorables à l'Iran au Liban (à Tripoli notamment avec le nettoyage impitoyable, en 1984, du parti de la Réunification islamique de Saïd Chabâne, allié de Yasser Arafat). Ce qui a renforcé, depuis ces épisodes sanglants, insistent certains observateurs, le positionnement de plus en plus hostile de certains courants religieux sunnites contre les chiites de Téhéran, accusés, désormais, de double jeu et de duplicité dans leur messianisme islamiste, qui fait la part belle à un Etat allié baathiste, moderniste, séculier, réfractaire à la théocratie et au sloganisme religieux. «La politique des intérêts se trompe souvent sur le but qu'elle prétend atteindre, et en perdant la force morale, elle perd la vraie puissance», disait le penseur syrien Borhan Gualioun, pour qui l'Iran et le Hezbollah au Liban sont en en train de perdre leur âme au pays des Omeyades. A cause d'une lecture confessionnelle des événements. D'une couverture médiatique partiale. D'un silence troublant vis-à-vis de l'oppression des masses syriennes. D'un soutien sans faille à un régime dictatorial. Impopulaire. Sectaire. Sanguinaire. Qui s'est toujours abrité derrière une phraséologie révolutionnaire, radicale et anti-impérialiste, pour justifier les abus, les lois d'exception, l'étouffement des libertés et la mainmise sur tous les rouages de la société civile. Pour l'élite religieuse au pouvoir en Iran, il n'y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités. L'axe Téhéran-Damas a encore de beaux jours devant lui. En dépit des antagonismes idéologiques. Car la confession alaouite est la fille du chiisme. Et le gouvernement du Cham, un rempart contre le salafisme, ennemi juré des partisans de la famille du prophète et du martyrologue husseinite.