La situation chaotique que vit l'Iran était prévisible. Elle s'inscrit dans la logique de l'histoire récente de ce pays, précisément, depuis l'avènement de " la révolution islamique " en 1979. Elle fait, en outre, écho, aux ambitions géostratégiques des puissances. Depuis 30 ans, une guerre économique, nommée embargo, est livrée sans merci contre l'Iran, sur instigation des USA, ancien ami privilégié du pays et redoutable ennemi du régime actuel. Une guerre, tantôt politique, tantôt militaire, concoctée par ce même ennemi, est également menée par procuration depuis l'avènement du régime de Khomeyni. En réaction, l'Iran fabrique à son tour une armée par procuration, le Hezbollah libanais, pour rendre la monnaie de sa pièce à " l'ennemi " et à son protégé Israël. Le Hezbollah a toujours défendu son " créateur " bec et ongles, quitte à détruire son propre pays. Ce fut le cas en juillet 2006 lorsque le Hezbollah enleva deux soldats israéliens et dut faire subir aux Libanais une guerre féroce. Une guerre qui a eu lieu, comme par hasard, la veille de la réunion du conseil de sécurité qui devait prendre une décision permettant de faire fléchir l'Iran sur la question du nucléaire. Cette guerre a réussi le miracle de laisser cette fameuse décision au point mort jusqu'à aujourd'hui, soit, plus de trois années plus tard. Remake du scénario de la chute de Mossadegh Cette situation, pénible, pour les Iraniens n'est sans doute pas étrangère au soubresaut interne que vit le pays actuellement, un scénario prévu et annoncé depuis longtemps par les observateurs, une sorte de remake du scénario de la chute de Mossadegh, l'ancien Premier ministre iranien déchu en 1953 sous la pression de la rue, et sous le fallacieux prétexte de malversation. On sait aujourd'hui, et d'après l'aveu même de la CIA, que Mossadegh avait été victime d'un complot américano-britannique qui a réussi le tour de force de manipuler la rue et de monter le peuple contre celui dont le seul tort avait été de nationaliser le pétrole de son pays, touchant ainsi gravement aux intérêts occidentaux. Le régime actuel tente, d'ailleurs, désespérément d'imputer le malaise de la rue iranienne à un complot mené par ces deux légendaires ennemis. Au plan symbolique, la référence à l'affaire Mossadegh, est pertinente. Cette affaire ayant douloureusement marqué les Iraniens qui la vivent, en tant que chiites, comme une seconde trahison après celle, commise contre l'Imam Hussein qu'ils avaient abandonné à la vindicte des sunnites à Karbala. En tout état de cause, les raisons de l'ampleur de la contestation actuelle pourraient trouver leurs origines dans une certaine manipulation médiatique occidentale, mais l'histoire du régime n'est pas non plus étrangère à ce ras-le-bol des jeunes et de certains leaders du régime lui-même. Rappelons qu'il s'agit d'une révolte au sein du régime et non sur le régime. Les victimes de la Wilayet Al Fakih En 1979, les Iraniens venaient de se débarrasser du joug du Shah, pour tomber aussitôt sous celui de la dictature de la " Gouvernance du jurisconsulte " la fameuse théorie de Wilayat Al Fakih inventée par Khomeyni et légitimée par la constitution iranienne. Cette théorie a permis à l'imam de vider la scène politique iranienne de toute voix discordante. Etant infaillible et pratiquement sacré, le Wali Al Fakih est placé au-dessus de toutes les institutions de l'Etat. Autant dire que la démocratie iranienne, se résumait aux urnes, et encore, seuls les candidats issus du régime et bénis par lui peuvent se porter candidats. Une fois le décompte des bulletins achevé, le nouveau Président élu, ainsi que les députés, pouvaient voir leurs décisions cassées par le Wali Al Fakih, ou le guide suprême, en l'occurrence Ali Khamenei Cette théorie a fait de célèbres victimes dont, l'ayatollah Montazari, le dauphin de Khomeyni, décédé le mois passé qui s'était opposé à cette théorie et qui avait passé sa vie en détention administrative. Nommons aussi le premier Président de la république islamique, Aboulhassen Bani Sadr qui n'avait pas accepté la répression féroce subie par les opposants, ainsi que l'avant-dernier Président Mohamed Khatami dont le seul tort est d'avoir tenté d'entreprendre quelques réformes. Il a dû vite déchanter et décevoir les jeunes et les femmes qui l'avaient porté aux nus, en voyant toutes ses décisions tuées dans l'œuf par le wali Al fakih nommé à vie et que personne n'avait élu. Dans un régime qui ne permet qu'à ses adeptes de participer au jeu démocratique, avec en prime la condition préalable de n'obéir qu'au Wali Al Fakih et non à ceux qui l'ont élu, le ver ne pouvait venir que de la poire elle même. Evidemment, Moussavi, celui par qui " le malheur " arriva, n'est autre qu'un des enfants de la révolution islamique, un pur produit du système. Il ne pouvait, d'ailleurs, se présenter aux présidentielles sans avoir racines dans la fameuse poire. Au vu donc de ce marasme idéologique, politique, économique et militaire qui dure depuis trois décennies, on peut croire que le peuple iranien est particulièrement patient sinon défaitiste. En réalité il n'en est rien. Rares sont en effet les années qui sont passées sans soubresauts mais qui étaient limités dans le temps et dans l'espace. Ainsi, et régulièrement, de violents affrontements ont lieu entre les forces de l'ordre et les Arabes iraniens de la région d'Al Ahwaz au sud de l'Iran, en raison des discriminations raciales. L'université iranienne a également vécu des épisodes dramatiques se soldant par mort d'hommes. Ces expressions de mécontentement n'ont cependant jamais pris l'ampleur de l'actuel mouvement et ont toujours été le fait d'éléments étrangers au régime. C'est que cette fois le ver vient de la poire elle même.