TuNur est un projet qui vise la production et l'exportation de l'énergie solaire vers l'Europe à l'horizon 2017/2018. Prévu pour être installé à Regim Maatoug, au gouvernorat de Kébili, il suscite un grand enthousiasme au sein de la population et des autorités locales, pour les retombées socioéconomiques attendues. Mais voilà que depuis 2011, année de création de TuNur — l'entreprise tuniso-britannique à l'origine du projet — aucun aménagement sur le terrain n'a encore été fait. Il s'agit d'un « méga »-projet qui risque de bouleverser le paysage socioéconomique de toute une région. Avec une capacité totale de 2.000 mégawatts, TuNur vise à faire de la Tunisie le premier exportateur d'énergie solaire dans le monde. 10.000 ha de terrain sont nécessaires pour installer les centrales solaires thermodynamiques à concentration (CSP) à tour, divisées en plusieurs unités de 500ha chacune. Il est prévu que ces installations soient placées entre les villages de Matrouha à Regim Maatoug au sud, et le Chott el Jerid au nord. Le coût total est estimé à 10 milliards d'euros, échelonné sur six ans. On parle de la création de 2.000 emplois directs, en plus de 20.000 autres emplois indirectement créés au long de la chaîne d'approvisionnement et durant l'opération des centrales. Pour le directeur général de TuNur, Dr Till Stenzel, le point le plus fort de ce projet sera de doter la Tunisie d'une technologie innovante, qu'il est tout à fait possible de maîtriser localement. A terme, la Tunisie pourrait produire l'énergie solaire à moindre coût et être compétitive sur le marché énergétique régional, dans un contexte où les sources d'énergie non renouvelables se raréfient. La terre Le gouverneur de Kébili, Habib Jéridi, voit en TuNur une formidable opportunité pour le pays. Mais il attend que le projet ait le cadre réglementaire nécessaire pour pouvoir démarrer, avant d'en informer les habitants. En effet, le projet est au statu quo depuis plusieurs mois pour des questions juridiques. La loi n°62-8 du 3 avril 1962 confère à la Société Tunisienne de l'Electricité et du Gaz (Steg) le monopole de la production, le transport et la distribution de l'électricité et du gaz. TuNur avait demandé aux autorités de créer une niche législative pour que le projet puisse voir le jour. Si les négociations sont toujours en cours, il faudrait que plus tard, la convention, sur laquelle se seraient entendues toutes les parties concernées, soit votée et approuvée par l'Assemblée Nationale Constituante, ou par les autorités compétentes. Bien qu'ils n'aient pas été impliqués dans le projet, ni informés à proprement parler, les habitants ont eu vent de TuNur et placent en lui beaucoup d'espoirs. «Les terres qui vont accueillir le projet sont importantes pour nous et pour notre bétail. On va les perdre, mais nous sommes quand même heureux de l'arrivée du projet », a déclaré Belgacem Abdelkader, président de l'Association d'intérêt hydraulique (AIH) de Regim Maatoug 2. Abdelkader estime qu'il y a environ 500 jeunes au chômage à Regim Maatoug sur une population de 8.000 habitants et que le projet industriel viendrait à point nommé pour pallier ce problème. En outre, il pense que le projet ferait diversifier les opportunités de développement dans le gouvernorat, principalement axé sur l'agriculture, dans un contexte où il n'y a pas beaucoup d'investissements dans le pays. Actuellement, les 10.000ha de terrain sont utilisés en tant que zone de pâturage pour les dromadaires et font partie du domaine de l'Etat. D'après Houcine Mokdad, représentant du ministère des Affaires foncières, ces terres sont gérées par le conseil de gestion et devront être gérées plus tard par le conseil régional, qui sera le vis-à-vis avec l'entreprise. Elles pourront être louées à TuNur pendant 40 ans, avec possibilité de renouvellement. L'eau Mis à part la terre, le projet nécessite la mobilisation d'un autre élément naturel, à savoir l'eau. La consommation d'eau par an est estimée à 600.000m3. Une quantité jugée relativement faible par M'sellem Faiez, commissaire régional du développement agricole à Kébili (CRDA), en comparaison avec les 37.000.000m3 d'eau utilisés annuellement dans la région pour l'irrigation. Une partie des 600.000m3 sera utilisée pour faire fonctionner le système. Une autre, représentant au moins 40% de cette quantité, servira pour des usages domestiques. L'eau industrielle sera issue de la nappe phréatique entre Regim Maatoug et Matrouha, une nappe très peu exploitée par le pâturage et en partie alimentée par les eaux d'irrigation des oasis. Théoriquement, il est possible d'utiliser, à la place, uniquement les eaux de drainage. En effet, le potentiel théorique en eau de drainage récupérable est de 4 millions de m3 par an, soit une quantité supérieure aux besoins. Cette solution arrangerait les agriculteurs si elle venait à être adoptée. Tout d'abord, elle permettrait de contribuer à la lutte contre le problème d'hydromorphisme dans les oasis tout en valorisant les eaux usées. Ensuite, TuNur pourrait prendre en charge la maintenance des stations de pompage et les coûts de leur fonctionnement. Mais il faudrait d'abord que les factures d'irrigation soient payées, par TuNur ou par les agriculteurs, et que l'irrigation des palmeraies soit régulière. Deux points qui sont toujours en négociation avec les concernés et éventuellement les autorités. Concernant l'eau destinée à l'usage domestique, elle sera issue de la nappe profonde, à travers un unique sondage. Cette eau fossile est très peu renouvelable. D'après le Dr Ahmed Mamou, expert chargé de l'étude hydrologique du projet TuNur, contrairement au reste du Nefzaoua, Regim Maatoug n'est pas dans une situation de surexploitation. Les potentialités sont de 2.000 litres par seconde alors que l'exploitation n'est qu'à 1.200 l/s. Beaucoup d'espoirs sont placés dans le projet TuNur, et à Regim Maatoug on attend avec impatience que les travaux d'aménagement commencent. TuNur est un projet qui nécessite quand même une mobilisation importante des ressources naturelles. Jusqu'à présent, la population locale n'a pas été suffisamment impliquée dans ce grand projet. Peut-être qu'il serait temps pour les autorités et les investisseurs de les faire participer de manière plus effective, pour que leurs exigences soient planifiées et prises en compte, même si le projet ne venait pas à être exécuté. Ce n'est que de cette manière que le développement pourrait prendre forme. Qu'est-ce que la CSP ? La technologie CSP, en anglais Concentrating Solar Power Plant, permet de produire de l'électricité en convertissant le rayonnement solaire direct en énergie. La centrale à tour, un des types de CSP, est constituée d'un champ circulaire ou ovoïde de centaines de capteurs solaires appelés Héliostats, ayant pour but de concentrer les rayons solaires au niveau d'un receveur central situé au sommet d'une tour. Ce dernier produit de la vapeur grâce à un générateur de vapeur. Ce générateur injecte la vapeur directement dans le bloc turbine au pied de la tour pour produire de l'électricité. Ainsi, l'énergie solaire est transformée en énergie thermique, et grâce à la turbine à vapeur, en énergie mécanique puis électrique.