Nous revoilà pire qu'à la case départ. Au début, il ne s'agissait que d'un remaniement ministériel, un replâtrage institutionnel en quelque sorte. Mais voilà, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis. Les chamailleries partisanes ont fini par avoir raison de tout. C'est le gouvernement en entier qui rend le tablier. M. Hamadi Jebali prend acte de la faillite de son projet de formation d'un gouvernement de technocrates. Son propre parti, le mouvement Ennahdha, dont il est le secrétaire général, lui a barré la route. On tempère volontiers son projet via la proposition de formation d'un gouvernement politique avec des figurations technocratiques. Ennahdha est soucieux de maintenir les ministères de souveraineté, particulièrement le ministère de l'Intérieur, dans son escarcelle. Alors, point de cadeau. Au prix de faire violence au second ténor en chef du parti au besoin. Jebali démissionne, la mort dans l'âme. Dans son entourage, on déplore la défaite circonstancielle. Mais on célèbre surtout la naissance d'un homme d'Etat. A les entendre, Jebali triomphe dans l'échec en quelque sorte. En d'autres termes, l'échec de Hamadi ferait le délice de Jebali. Et l'homme d'Etat serait aux aguets. Il accepterait volontiers la sollicitude présidentielle de former un nouveau gouvernement. Sur la base d'un nouveau mandat, bien évidemment. Le mouvement Ennahdha pousse la prouesse jusqu'à réclamer à cor et à cri le retour aux affaires de son secrétaire général. Celui-là même qu'il a désavoué à force de coups tordus, de manœuvres dilatoires, de combines partisanes et de manigances non déguisées. Il est vrai que Jebali semble avoir présumé de son poids et des soutiens potentiels tant à l'intérieur de son parti que parmi les alliés et protagonistes à divers titres. Les citoyens sont prévenus. La politique, c'est Machiavel en prime. Aux yeux des politiques, la fin justifie les moyens. Et l'on daigne bien verser quelques larmes de crocodile sur quelqu'un qu'on a trucidé. Les Tunisiens sont surpris et anxieux. Ils redoutent le vide institutionnel. Et ils ont raison. Depuis des mois que ce triste manège perdure. Une classe politique amorphe, flottante et calculatrice risque d'hypothéquer la révolution proprement dite. Parce que le plus grand ennemi des révolutions, c'est le chaos. Certes, on chargera probablement Hamadi Jebali de former un nouveau gouvernement. Dans son entourage proche, on murmure : «A chaque échéance un discours approprié». On imagine le topo. Mais les tiraillements ont été trop durs pour qu'on puisse les ravaler en un tournemain. Désormais, dans la maison Ennahdha, il y a de sérieuses lézardes dans l'édifice. On a droit d'y clamer il y a péril en la demeure. Et pour cause. Les scissions des islamistes turcs sont passées du parti de la Prospérité à l'AKP via le parti de la Vertu. Les récents positionnements de M. Hamadi Jebali pourraient bien être apparentés à de pareils développements. N'empêche. Hors Ennahdha, le pays réel et profond ressent un profond malaise. La politique désastreuse n'en finit plus de vicier le climat économique et social. La crise enfle. Les contribuables n'y peuvent guère. Pressurés, saignés à blanc, appauvris, ils comptabilisent les affres de la chute vertigineuse du pouvoir d'achat et de l'augmentation faramineuse des prix. Le chômage croît vicieusement tandis que l'insécurité sévit. Les Tunisiens commencent à perdre confiance. La classe politique, toutes instances et tendances confondues, est pointée du doigt. Des mois durant, elle a étalé ses limites, ses atermoiements, son inconsistance. L'intérêt national est hypothéqué au profit des chapelles, et celles-ci sont phagocytées par les intérêts individuels. La passe d'armes entre Hamadi Jebali et l'aile dure d'Ennahdha a profité à cette dernière. Mais le pays en a pâti. Lors des prochaines élections, tout porte à croire que les électeurs s'en souviendront.