Le discours du nouveau chef de gouvernement, Ali Laârayedh, devant l'Assemblée nationale constituante (ANC) s'est focalisé en substance sur cinq priorités : assurer la sécurité, redresser l'économie, réduire la période transitoire, lutter contre la corruption à travers la justice transitionnelle et réaliser les objectifs de la révolution, à savoir liberté, dignité et justice. Mais le nouveau chef de gouvernement a-t-il évoqué les mécanismes nécessaires à la concrétisation de ses intentions ? Mieux, a-t-il les moyens de le faire ? Nous avons posé ces questions à trois acteurs de la société civile, Rachida Neïfer et Jawhar Ben Mbarek, universitaires et constitutionnalistes, ainsi qu'à Néziha Rjiba (Om Zied), militante de la société civile et présidente de l'Association «Vigilance». Réactions. Rachida Neïfer (universitaire et constitutionnaliste) : «Le nouveau gouvernement a besoin de moyens politiques, financiers et humains pour réaliser ses priorités» Le nouveau gouvernement a surtout besoin de moyens politiques, financiers et humains pour réaliser les priorités évoquées par le chef du gouvernement Ali Laârayedh dans son discours à l'ANC. A mon avis, la stabilisation du pays, le développement économique, notamment régional, et la justice transitionnelle sont réellement des priorités à réaliser, car le facteur temps importe peu, qu'il s'agisse d'un gouvernement de courte durée ou d'un gouvernement permanent jouissant d'un mandat déterminé. Concernant les moyens politiques pour la stabilisation du pays et la garantie sécuritaire, un dossier comme celui de la violence ne peut être géré que dans la mesure où le gouvernement dispose de la liberté de mettre fin aux structures et organisations parallèles qui, petit à petit, ont commencé à grignoter sur les prérogatives des autorités et rouages de l'Etat. Pour ce qui est de la réduction de la période transitoire, cela ne dépend pas du gouvernement, mais de l'ANC, car il s'agit, d'établir la nouvelle Constitution, d'organiser les élections et de mettre en place de nouveaux pouvoirs politiques, entre l'exécutif et le législatif. Il appartient, donc, à l'ANC, dans cette période transitoire, d'établir la Constitution, de mettre en place l'Isie et d'adopter la nouvelle loi électorale. Le gouvernement, lui, est seulement appelé à gérer la vie politique et économique dans cette période transitoire. Concernant maintenant les moyens financiers, il s'agit d'un gouvernement qui va travailler selon une loi de finances proposée par son prédécesseur, il est donc lié par les choix du gouvernement précédent. Ce qui n'est pas de nature à lui permettre d'accélérer les réformes du développement régional en boostant les investissements. Surtout que la possibilité de recourir à une loi de finances complémentaire reste hypothétique vu la situation financière que connaît le pays. Au niveau des moyens humains, le problème se pose pour les nouveaux ministres, notamment les indépendants, qui sont appelés à gérer les départements de souveraineté. La question se pose quant au degré de manœuvre dont ils disposent pour assurer la neutralité des postes de direction aussi bien au niveau central que régional et local. Cela sous-entend qu'il est nécessaire de revoir le degré d'indépendance des gouverneurs, des délégués et des hauts responsables. Ainsi, la neutralité des ministères régaliens ne concerne pas uniquement les ministres, mais aussi les directeurs et responsables. Néziha Rjiba (Om Zied) ( journaliste et militante de la société civile) : «Croisons les doigts pour que la période transitoire soit écourtée» Je ne crois pas que le programme annoncé par Ali Laârayedh, le nouveau chef du gouvernement, à l'ANC soit réalisable. Non pas parce que soit difficile à faire, mais parce que le problème réside dans ce gouvernement qui est le même à hauteur de 75% que le précédent. Le gouvernement a montré dans la période passée ses limites en échouant dans la réalisation des objectifs de la révolution. Je ne parle pas des nouveaux membres de ce gouvernement qui n'ont pas encore été mis à l'épreuve. Mais on verra. Ennahdha, qui dominait l'ancien gouvernement, a donné le meilleur de ce qu'elle pouvait donner. Ce parti a promis de démocratiser la vie politique et il ne l'a pas fait. Au contraire, Ennahdha a tenté à plusieurs reprises d'islamiser la Constitution, mais elle a reculé à chaque fois grâce à la vigilance de la société civile, des médias, des opposants et de la réaction des observateurs et médias étrangers. Maintenant, si ce nouveau gouvernement réussit à écourter la période transitoire, c'est tant mieux et croisons les doigts pour qu'il le fasse. Mais je crois que les constituants sont acculés à se faire aider par des experts et des constitutionnalistes spécialisés pour la rédaction finale de la Constitution afin qu'elle puisse être fin prête d'ici l'été 2013 ou au plus tard à la fin de l'année en cours. Je crois aussi que la Constitution sera marquée par un certain consensus. Et c'est là le vœu de tous, car l'important maintenant pour les Tunisiens, c'est qu'on mette fin à la période transitoire et qu'on aboutisse, enfin, aux élections. Jawhar Ben Mbarek (constitutionnaliste et dirigeant du réseau Doustourna) : «Un discours resté au niveau des intentions» Le nouveau chef de gouvernement n'a fait que répéter des slogans et des objectifs à réaliser en partant de bonnes intentions, mais il n'a pas présenté un programme politique précis de son gouvernement. Il n'a soumis aucun moyen réel pour y parvenir. Au plan politique, il a suggéré de réduire la période transitoire mais sans fixer de date. Il aurait pu proposer un débat national, étant donné les divergences à l'ANC sur la Constitution, la loi électorale et l'Isie. En fait, il n'a pas mis la pression sur l'ANC afin que les constituants prennent au sérieux le processus de transition démocratique. Il fallait mettre l'ANC devant ses responsabilités afin de booster ce processus. Au plan économique, il a évoqué le dossier le plus brûlant, à savoir la lutte contre l'inflation et l'amélioration du pouvoir d'achat des citoyens, mais sans fixer d'objectifs ni d'instruments précis pour les réaliser. Bref, le discours de Laârayedh est resté au niveau des intentions qui sont certes partagées par toutes les forces politiques, mais il ne dit pas comment les concrétiser. Ce qui démontre que le gouvernement a été créé sans tracer une politique générale de l'Etat. Le discours de Ali Laârayedh est demeuré formel sans s'appesantir sur le fond. C'est un discours général qui a essayé de rassurer tout le monde, mais sans fixer des objectifs précis à réaliser et des moyens précis pour y parvenir.