• L'opposition doit s'unir sur un projet, avant de s'unir organiquement • Le discours de Jebali est plein de généralités Juriste spécialiste en Droit constitutionnel, Jawhar Ben M'barek, a été un des animateurs de la liste « Doustourna » aux élections du 23 octobre. Il livre au Temps, sa réaction au discours d'investiture de Hamadi Jebali, la composition du nouveau gouvernement et sa position à propos des tractations actuelles pour unir les forces progressistes et démocratiques. Le Temps : Quelle est votre lecture du discours de Hamadi Jebali pour l'investiture de son gouvernement ? Jawhar Ben M'barek : C'est un discours de bonnes intentions. C'est un programme pour un gouvernement qui n'est pas du tout provisoire, un gouvernement qui s'installe dans la durée. C'est dans la continuité du refus de la Constituante de limiter la période provisoire. C'est un discours de généralités. Il lui manque un diagnostic réel et chiffré de la situation sociale et économique. Le gouvernement n'a pas une idée claire. Il n'a pas accès aux dossiers. On craint que l'installation du gouvernement dont les membres n'ont jamais assumé des responsabilité, prenne plus de temps que prévu. Un deuxième point. C'est un programme qui ne fixe pas de priorités. Essayer d'évoquer tous les problèmes des plus importants aux moins importants, est une manière populiste de faire. Le politique agit selon les contraintes temps, importance des dossiers et possibilités disponibles. En traitant tous les dossiers en même temps, il donne l'impression de pouvoir tout résoudre en un temps record. Le politique doit avoir le courage d'établir des priorités. C'est un discours qui a essayé de caresser tout le monde le sens du poil. Troisième remarque. C'est un programme généraliste non chiffré et sans mesures concrètes. Si ce gouvernement a le courage suffisant, il devra établir des priorités et des solutions réalistes et chiffrées. C'est un discours de bonnes intentions, sans plus. Il a parlé de tout, sans fixer de priorités. Que pensez-vous de la composition du gouvernement ? Tout d'abord, c'est un gouvernement politique. Depuis la Révolution, nous n'avons pas eu de gouvernement politique. Ceci met ce gouvernement devant un vrai défi : la neutralité de l'appareil d'Etat en cette période provisoire. Nous espérons que le paramètre politique ne touche pas à la neutralité de l'administration et de l'Etat. En cette période transitoire, la tentation d'utiliser l'appareil gouvernemental existe. La deuxième caractéristique est que ce gouvernement manque d'expérience. Ses membres n'ont pas d'expérience dans le domaine de la gouvernance. Tout ça va prendre beaucoup de temps. Ce temps est précieux pour les dossiers en instance. Troisième caractéristique. C'est un gouvernement d'alliance politique. Il est dans une position hétérogène. Le défi de la stabilité se pose. Le positionnement des composantes du gouvernement n'est pas homogène. Dans les domaines de la justice transitionnelle et de la réforme de la sécurité, le Congrès pour la République (CPR) a une position radicale. Ennahdha est à l'opposé. Elle veut faire ses preuves à l'intérieur et à l'extérieur, car elle est sous observation. Dans le dossier de la justice et des réformes, elle ne voudra pas aller loin. Le positionnement n'est pas le même. Ettakatol n'est ni dans cette logique, ni dans l'autre. Il est dans une sorte d'opposition à l'intérieur du gouvernement pour empêcher Ennahdha et le CPR de s'installer. Il est dans une logique d'empêchement. Ça peut jouer un rôle déstabilisateur. L'avenir va montrer si ce gouvernement peut tenir. Quel est le rôle de la société civile dans l'étape actuelle ? La société civile se trouve à la pointe de la revendication et de la force de proposition depuis la Révolution. Elle va continuer à jouer un rôle régulateur fondamental. La preuve : le vote de la loi d'organisation provisoire des pouvoirs. Le texte voté par la Constitution est fondamentalement différent de l'initial. Il y a eu une nette amélioration du contenu du texte, avec plus d'équilibre des pouvoirs. C'est grâce à la société civile et son soutien à l'opposition démocratique au sein de la Constituante que le texte a pu être amélioré. La société civile détient la clef fondamentale de l'avenir de la Tunisie. Il est vrai qu'il y a au sein de la Troïka une tendance à minimiser le rôle de la société civile avec un discours archaïque. C'est sans importance. La société civile continuera à jouer son rôle. Où en est l'initiative d'unir les forces de gauche ? Quelle est la position de Doustourna ? Doustourna a fait une proposition d'organiser des assises nationales pour un projet social qui unit les forces démocratiques. La volonté actuelle est une bonne démarche. Il faut s'unir non contre quelque chose, mais pour quelque chose. Avant de s'unir organiquement, il faut s'unir sur un projet. D'où notre initiative de lancer des assises nationales avec la participation de compétences dans tous les domaines pour élaborer un projet qui sera mis sur la table. Toute l'expérience passée a montré que lorsqu'on s'unit contre quelque chose, ça ne marche pas. Il n'y a pas d'autres moyens de réduire les égos qu'avoir un projet commun. Nous comptons organiser ces assises en février ou mars prochains. Que pensez-vous de l'initiative de créer une Assemblée civile constituante parallèle ? C'est une bonne initiative de la société civile. Nous n'y participons pas parce que nous avons d'autres initiatives. C'est une initiative positive mais insuffisante. Il faudrait d'autres initiatives. La Constituante elle-même doit lancer des débats dans les régions. Il ne faut pas que l'écriture d'une Constitution soit l'affaire de transactions à l'intérieur du Palais du Bardo. Après leur échec aux élections du 23 octobre les indépendants ont-ils encore, un rôle à jouer ? Les indépendants existent et ne vont pas disparaître. Maintenant, il faut composer avec de nouvelles réalités politiques. Leur rôle doit s'intégrer dans un rôle démocratique global. Ce n'est pas parce qu'il n'y pas beaucoup d'indépendants à la Constituante, qu'ils vont disparaître. Le phénomène des indépendants va continuer à exister. Propos recueillis par Hassine BOUAZRA