«Le président de la République se réveille finalement d'un long sommeil et commence à jouer son rôle fédérateur» «Les lignes bougent au niveau de la carte politique» «La réaction du Gouvernement et la passivité des forces de l'ordre ont contribué au renforcement de cette vague de violence » Coordinateur de Réseau Dostourna, constitutionnaliste, ancien militant de l'Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET), fils de militant de Gauche, Jawhar Ben M'barek fait partie de la nouvelle génération d'activistes dans la société civile qui émerge du lot. Il confie au Temps, son analyse de la situation politique dans le pays, tout en suggérant les moyens de s'en sortir. Le Temps : Comment expliquez-vous ce qui s'est passé dernièrement à Tataouine ? Quels enseignements en tirer ? Jawhar Ben Mbarek : C'est le prolongement d'une vague de violence qui a commencé depuis quelques mois, même avant les élections et qui s'est accentuée particulièrement après. C'est une vague ascendante alimentée par un discours politique de haut niveau incitant à la violence et lui offrant une couverture politique. En plus la réaction du Gouvernement et la passivité des forces de l'ordre ont contribué à la multiplication des actes de violence. Je pense que s'il n'y a pas dans les plus brefs délais une intervention énergique de la part de l'Etat, cette vague est de nature à affaiblir la transition démocratique. Il y a trop de risques qu'elle se trouve davantage bloquées. Est-ce un problème de moyens mis à la disposition des forces de sécurité ? Non. Nous savons que les forces de sécurité ont réclamé publiquement qu'il y ait une décision politique claire leur permettant de faire appliquer la loi. Je pense que ce n'est pas une question de moyens pour arrêter la violence, mais il s'agit surtout d'une question de volonté. Comment expliquez-vous l'absence de volonté ? L'absence de volonté peut être expliquée de plusieurs manières. La plus importante est l'agenda électoral et la décision des partis au pouvoir de ne pas ouvrir ou fissurer un front qui peut être nuisible, du point de vue électoral. C'est un phénomène global. Il prend une forme salafiste souvent et de temps en temps, les comités de protection de la Révolution. Ce sont des titres différents correspondants à une réalité unique. Faut-il dissoudre ces comités de protection de la Révolution ? Pour sortir de l'engrenage de la violence, il y a deux solutions qui s'imposent. La première est la dissolution pure et simple de ces comités. D'ailleurs dans la plupart des cas, ils n'ont pas d'existence juridique réelle. C'est une nébuleuse. La deuxième réside au changement à la tête du ministère de l'Intérieur. Il ne s'agit pas de remettre en cause la personne d'Ali Lâarayedh, mais de la fonction. Qu'est-ce que vous reprochez à Ali Lâarayedh ? Il n'a pas agi en tant qu'homme d'Etat. Il continue à être animé, plutôt par des considérations partisanes voire électoralistes. C'est une attitude chaotique dans une période critique. Bien que je ne sois pas d'accord avec l'idée de neutraliser tous les ministères de souveraineté, le problème est persistant au niveau du département de l'Intérieur. D'autant plus que sur le terrain, les résultats obtenus par ce ministre sont médiocres dans deux sens. Le premier est son échec à rétablir la confiance au sein des forces de sécurité. Il s'avère que cet homme n'est pas un véritable meneur d'homme. C'est un échec interne. Le deuxième aspect est un échec externe dans la capacité d'imposer même un semblant d'ordre dans le pays. Dans une démocratie et même dans un pays en transition démocratique, ce sont des motifs plus que suffisants pour qu'un ministre assume ses responsabilités et démissionne. Comment analysez-vous la situation politique dans le pays à la veille du 23 octobre ? Sur le plan politique, il y a un phénomène nouveau. Les lignes bougent au niveau de la carte politique, après toute cette reformulation de la scène après les élections. C'est très important. Nous sommes sur le point d'assister à une structuration claire de la vie politique, entre des blocs consolidés. Quel rôle a joué l'Union Générale Tunisienne du Travail ? L'initiative de l'UGTT a participé à faire bouger les lignes au niveau du consensus national. Le président de la République se réveille finalement d'un long sommeil et commence à jouer son véritable rôle de fédérateur. C'est ce qu'il a laissé apparaître depuis quelques jours. Il l'a confirmé dans l'interview accordée, vendredi soir, aux chaînes de télévision. Bien que nous espérions que son éveil soit moins tardif, ce qui aurait pu nous épargner plusieurs situations critiques. De toute façon, un accord politique consensuel global est désormais possible autour d'un certain nombre d'idées. Quels sont les points sur lesquels le consensus est devenu possible ? D'abord, le consensus sur le plan constitutionnel concerne le régime politique, après la décision d'Ennahdha de renoncer à un régime parlementaire. Un accord s'est fait sur un régime parlementaire mixte (modéré) avec l'élection du président au suffrage universel direct. Les autres aspects du consensus concernent les échéances électorales et le calendrier politique. Quatre dates fondamentales sont concernées. La première est celle de l'adoption de la Constitution. Je pense que la date du 14 janvier que j'avais proposée au congrès de l'UGTT, une date symbolique, connaît un ralliement de plusieurs forces politiques. La deuxième date est celle de la mise en place de l'Instance des élections. L'accord est presque scellé pour que ça soit fait fin novembre, début décembre prochain. La troisième date est celle des élections présidentielles. Elles devront avoir lieu entre le printemps et l'automne 2013. Je pense que l'automne 2013 est une date beaucoup plus plausible. De toute façon, l'instance des élections en décidera. La quatrième date est celle des élections législatives. Pourquoi êtes-vous favorable à la séparation des deux élections législatives et présidentielle ? Il est indiscutablement nécessaire de séparer les deux élections pour deux raisons au moins. La première est la conformité aux normes internationales qui exigent la séparation des échéances législatives et présidentielles. La deuxième raison, la plus importante, est que le régime parlementaire modéré proposé par le trio au pouvoir exige la séparation des échéances, car le cas contraire serait de nature à vider de toute substance la proposition sur la nature du régime politique. Le régime parlementaire modéré dans son âme place le président de la République comme un pouvoir de modération et d'arbitrage du jeu politique. Il serait alors préférable que le président de la République soit issu d'une force politique et d'un environnement politique distinct de celui de la majorité gouvernementale. La concomitance des deux élections donnerait des résultats complètement opposés et viderait le régime parlementaire modéré de sa substance.