• Les banques islamiques se basent sur l'économie réelle. La spéculation cède la place à l'obligation d'adosser toute activité à un actif réel • Première banque commerciale tunisienne spécialisée, Banque Zitouna vient significativement enrichir le paysage bancaire et financier national Partout dans le monde, la finance islamique gagne du terrain. Avec des actifs représentant quelque 700 milliards de dollars à l'échelle mondiale, elle s'impose comme un moyen d'introduire plus d'éthique dans les transactions financières. Les produits de la finance islamique, qui ont bien résisté à la crise mondiale, sont désormais adoptés par plusieurs pays développés et par des banques internationales, séduits par un système qui brandit des principes tels que l'interdiction de l'intérêt et de la spéculation et qui s'illustre par son ancrage dans l'économie réelle. En Tunisie, la finance islamique commence à prendre de l'ampleur. Le phénomène ne date pas d'hier. Car comme nous l'indique Mme Raja Dahmane, sous-directeur de la supervision des établissements financiers et des banques spécialisées à la BCT, il remonte à 1983 avec l'implantation de la première banque islamique : la Best Bank rebaptisée Al Baraka Bank Tunisia. Cette dernière a obtenu l'agrément dans le cadre de la loi n° 85-108 du 6/12/1985 portant encouragement d'organismes financiers et bancaires travaillant essentiellement avec les non- résidents, abrogée par le code de prestations de services financiers aux non-résidents d'août 2009. Il s'agit d'une banque off shore arborant un volet d'activité destiné aux résidents et aux non-résidents. «C'est pratiquement la banque off shore qui a le plus contribué au financement de l'économie. Elle a permis, à travers la collecte des dépôts des résidents, de financer plusieurs projets», souligne-t-elle, rappelant l'existence en Tunisie d'un bureau de représentation de la banque émiratie «Noor Islamic Bank » qui «ne propose pas des prestations bancaires». La première banque islamique tunisienne vient en outre d'être créée. Régie par la loi 2001-65 du 10 juillet 2001 relative aux établissements de crédit, la Banque Zitouna sera soumise aux mêmes règles que les banques classiques ainsi qu'au contrôle de la Banque Centrale de Tunisie. «Les banques islamiques ne bénéficient d'aucun traitement particulier», souligne Mme Dahmane. Elles sont ainsi soumises aux mêmes textes réglementaires de la BCT, aux mêmes règles de bonne gouvernance et de communication des documents que les autres banques de la place. Des lois spécifiques à ces banques n'existent donc pas. Toutes les dispositions relatives aux «produits islamiques» sont, d'ailleurs, définies au niveau du Code des Obligations et des Contrats (COC). S'agissant de l'adaptation aux règles nationales en vigueur, notre vis-à-vis nous informe que les comités spécialistes en « loi islamique » existant au sein des banques islamiques ont pour rôle de s'assurer que les nouveaux contrats sont compatibles avec les principes de la Charia. Ce comité s'inscrit dans le cadre des dispositions d'une circulaire de l'institut d'émission portant sur le contrôle interne et autorisant la création au sein de chaque banque des comités nécessaires pour le suivi et la maîtrise de tout risque. De nombreux atouts Quels atouts présente la finance conforme à la Charia par rapport à la pratique classique ? La question s'impose. Dans ce cadre, M.Sofiène Bennour, chef de service de la supervision des banques non résidentes, nous rappelle que les banques islamiques ne travaillent pas sur la base des intérêts. Son rôle est plus celui d'intermédiaire que celui d'investisseur. Les banques islamiques participent avec leurs clients à des projets moyennant une panoplie de produits à l'instar de «moudharaba», «mousharaka», «mourabaha». Il y a par ailleurs un autre principe : celui du partage des pertes et des profits. Mme Dahmane nous explique que le profit est déterminé à travers des clés de répartition et qu'il est défini d'avance. Ainsi lorsque le client vient déposer de l'argent auprès d'une banque islamique, il choisit l'affectation de ce dépôt. Dès le départ, il dispose de deux possibilités : soit un compte participatif de dépôt affecté à un projet bien déterminé figurant dans la liste prévue par la banque, soit un compte de dépôt non affecté lorsque le client ouvre un compte et demande à la banque d'investir son argent dans des projets. Dès le départ, son profit est défini selon une clé de répartition qui varie entre 70%-30%, 50%-50% ou bien 60%-40%. Notre interlocutrice précise, en outre, que plus le projet est de longue durée, plus la marge est importante, et ce, au profit du client qui investit à long terme. Autre avantage et non des moindres: les banques islamiques se basent sur l'économie réelle. La spéculation cède la place à l'obligation d'adosser toute activité à un actif réel. On nous explique que derrière chaque acquisition faite par le client, il y a un bien tangible. Ce, moyennant le principe d'existence d'un actif sous-jacent qui sera revendu au client. L'ancrage dans l'économie réelle est donc bien réel. «Ce qui n'est pas le cas dans les banques classiques», relève Mme Dahmane. C'est d'ailleurs cette particularité qui a épargné les banques islamiques au début de la crise financière récente. Ses répercussions ont commencé à se faire sentir lorsque la crise a touché l'économie réelle. Parler de finance anti-risque serait donc «maladroit» car, à la base, le principe des 3P (partage des profits et des pertes) implique une proportionnalité entre risque et rentabilité du projet. Les risques sont tout simplement moindres. Un marché porteur «Un phénomène qui a commencé par une mode et qui est devenu une réalité. Avec plus de 300 institutions financières islamiques dans le monde, ce secteur réalise un taux de croissance variant entre 10% et 15% par an», souligne M.Bennour. Nul doute que ce secteur gagne de plus en plus de terrain. Les banques classiques doivent-elles se sentir menacées ? Pour notre interlocutrice, cela donnerait plutôt lieu à une dynamique positive et un effort d'adaptation des banques dites classiques. C'est un marché porteur pour ces banques dont plusieurs ont opté soit pour l'ouverture de fenêtres de banques islamiques, soit pour la création de filiales. A l'échelle internationale, on trouve plusieurs banques classiques qui offrent des produits islamiques, relève-t-elle. Concernant la Banque Zitouna dont les activités viennent de démarrer, Mme Dahmane estime qu'il y a eu un véritable effort au niveau du marketing ayant facilité l'introduction de cette banque, outre une grande préparation ayant inclus la formation des ressources humaines dans ces banques islamiques étrangères. Pour M.Bennour, «c'est le marché qui aura dont les activités viennent le dernier mot».