Par Tahar GALLALI Le courage — dit l'adage —, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel. Si l'idéal de liberté et de dignité ne relève plus à présent de l'utopie ou de l'inconscient engourdi, le réel nous interpelle de suite pour penser l'avenir. Parce que, faut-il le rappeler, cette révolution a surpris tout son monde. Soudaine et citoyenne, elle a débuté sans orientation préétablie si ce n'est ces deux mots d'ordre mobilisateurs : liberté et dignité. C'est fort et fragile à la fois. Pour que ce ne soit plus jamais ça, il va falloir, maintenant que le peuple tunisien a brisé ses chaînes et a mis son sort entre ses mains, forger à cette révolution un socle et donner un contenant à ces aspirations. Il y va de notre vivre ensemble conflictuel/consensuel, pour aujourd'hui et encore plus pour demain, quand le quotidien aura repris son cours. C'est à nous de révolutionner notre façon de penser et d'agir pour relever un tel défi. Il est fini le temps où le gouvernement dicte sa volonté et le peuple suit. Une situation inédite. L'exercice n'est pas sans risque tellement nous avons été dressés à vivre dans l'attente des directives. Est révolu le temps des "ettalimet" d'autant plus que l'actuel gouvernement, de transition, n'a d'autre mission comme il le revendique lui-même, que de veiller à la préparation des prochaines élections que nous espérons tous, pour une fois, transparentes et démocratiques. Il n'a ni le temps ni la procuration pour nous dicter, comme jadis, ses orientations. A nous, citoyens, de dire haut et fort ce que nous voulons. Ce n'est certainement pas la veille de la mise du bulletin de vote dans les urnes que nous pourrons élaborer les programmes qui engagent .Ils ne seraient que de pure improvisation. Reste qu'en ces temps critiques, l'esprit est accaparé par le temps qui court : l'immédiat politique. C'est un passage obligé mais nous avons l'obligation de le transcender. Si beaucoup de ceux qui ont leur mot à dire ou écrire ont été pris au dépourvu par ce passage quasi-instantané de révolte en révolution, ils ne peuvent ignorer qu'il est de leur devoir à présent, de traduire l'écho de la Rue en projet. Ils n'ont pas à réinventer le point de départ .C'est déjà dit et gravé : liberté et dignité. Liberté. Ils ne sont pas sans savoir comme le prône l'autre vieil adage‑: la liberté d'expression ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. A présent, un gros verrou a sauté, profitons-en ! Sans modération. Dignité. Elle rime avec équité, dans la réparation de l'effort comme dans la récolte de ses fruits. Elle ne prend son sens que si elle est adossée à une économie au service de tous. Jusqu'à hier, l'accaparation de l'économie par 1% de la population et 9% de collaborateurs, directs et indirects, a fait des ravages dans tout le pays. Le pillage des biens publics a nourri la frustration sociale et son sinistre corollaire : le désespoir. Il serait injuste de vouloir demander aux technocrates du gouvernement de transition et au gouverneur de la Banque centrale de tout redresser, ici et maintenant. Le peuple n'est pas dupe. Stopper l'hémorragie, c'est déjà un pas. Le compléter par un état des lieux, sincère et conforme à la réalité économique du pays, devient l'exercice inévitable pour la transparence dans la gestion des affaires de l'Etat et de ce qui lui reste comme biens Dans l'immédiat, alors que la parole se libère, la demande sociale explose, l'insatisfaction nourrit l'amertume et un ventre creux rend sourd. Si on ne devait, on ne pouvait en ces temps d'urgence ne lancer qu'un seul plan d'assistance à un secteur menacé, la priorité ,bien avant le tourisme,devrait aller à la filière "blé".C'est notre pain quotidien .Il y va de notre sécurité alimentaire ,pour ne pas dire de notre sécurité tout court !C'est un produit hautement stratégique mais c'est aussi un produit aléatoire tant par la volatilité de ses prix sur le marché international que par l'irrégularité de ses rendements au niveau national. Pour l'année en cours, les dés sont déjà jetés quant aux surfaces ensemencées. On ne pourra jouer que sur le suivi pour espérer faire mieux que la récolte désastreuse de l'année dernière. Ce suivi ne peut être assuré sans une mobilisation de tous les intervenants, au besoin faire appel lors des phases critiques, aux hélicoptères de l'armée pour traiter et épandre les engrais. Une responsabilité particulière incombe aux chercheurs et ingénieurs du secteur. Ils savent plus que tout autre que le remplissage des silos en été, se décide en très grande partie de ce qui aura été entrepris à partir de Janvier. Ils sont capables de se ressaisir maintenant que la bureaucratie qui leur a tant pesé ne peut plus les freiner.