Il semble que l'Association des magistrats tunisiens (AMT) a changé de stratégie en matière de traitement du projet de loi organique sur l'instance provisoire de l'ordre judiciaire examiné, actuellement, par l'Assemblée nationale constituante. L'AMT est, en effet, passée du stade de la contestation systématique de l'ensemble des articles que comporte la loi en question pour adopter un nouveau comportement, celui de proposer une nouvelle formule à l'article 6 relatif à la composition de l'instance. Cet article a provoqué une véritable polémique aussi bien au sein de l'Assemblée nationale constituante que parmi les magistrats, qu'ils soient adhérents à l'AMT ou au Syndicat des magistrats tunisiens (SMT). Le point de discorde a trait essentiellement, comme le stipule l'article 6 du projet de loi, à la présence au sein de la composition de l'instance de cinq membres n'appartenant pas à la famille de la magistrature. L'article précise qu'outre les magistrats désignés ès qualité (5 hauts magistrats) et les dix magistrats qui seront élus par leurs collègues, le bureau directeur de l'Instance comportera cinq autres membres n'ayant pas la qualité de magistrat et qui seront désignés à raison de deux par l'ANC, d'un autre qui sera proposé par le Conseil de l'ordre des avocats, d'un enseignant universitaire choisi par le président de la République et enfin d'un militant de la société civile qui sera désigné par le chef du gouvernement. L'AMT propose Ayant changé de fusil d'épaule et «partant de sa volonté responsable de trouver les solutions propres à dépasser les désaccords actuels sur la composition de l'Instance, plus particulièrement pour ce qui est de l'article 6 — comme le souligne son communiqué en date du 15 avril —», le bureau exécutif de l'AMT propose de procéder au remplacement des membres qui ne font pas partie du secteur des magistrats. L'Association avance ce qui suit : «Les membres désignés en dehors du secteur peuvent être remplacés par deux juges administratifs et deux juges provenant de la Cour des comptes». Quant à la composition du conseil de discipline, l'AMT propose qu'elle «se limite aux magistrats judiciaires et de conférer à l'inspecteur général la compétence de s'opposer aux sanctions disciplinaires devant le tribunal administratif, et ce, en vue de garantir le principe de la transparence». L'AMT appelle, d'autre part, les magistrats à ne pas «suivre les appels de certaines parties visant à faire capoter le projet de loi sur l'instance, ce qui risque d'isoler davantage les magistrats, de faire perdurer la situation de vide institutionnel actuel et de faire en sorte que la magistrature reste pour de longues années encore sous la coupe du pouvoir exécutif». L'obligation de la transparence Du côté de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature, dirigé par le magistrat Ahmed Rahmouni, les positions ont été arrêtées dans un rapport publié le 4 du mois courant. L'Observatoire s'oppose à ce que le pouvoir législatif intervienne dans la composition de l'instance. Idem pour l'ingérence du chef du gouvernement. «L'intervention des pouvoirs exécutif et législatif dans le choix de certains parmi les membres de l'instance ouvre la voie à sa politisation et porte atteinte à son autonomie», souligne le rapport. Seulement, l'Observatoire n'est pas opposé systématiquement au principe de la présence de membres non magistrats au sein de l'Instance. Aussi, lit-on, dans le même rapport : «Les normes internationales en la matière exigent que le choix des membres non-magistrats soit objectif et transparent». Les mêmes normes appellent aussi à mentionner dans le projet de loi en question «le recours par les pouvoirs exécutif et législatif à d'autres parties élues qui contribuent à la désignation de tous les membres de l'instance ou certains parmi eux». Pour ce qui des sanctions disciplinaires à l'encontre des magistrats, l'Observatoire précise que, selon les pratiques internationales, «les membres du conseil de discipline qui ne portent pas la qualité de magistrats ne sont pas habilités à y participer». Tous les recours sont possibles Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), insiste, de son côté, sur l'attachement des magistrats «à ce que l'instance soit constituée exclusivement de magistrats. Le président de la République, le chef du gouvernement et l'Ordre des avocats n'ont pas à y intervenir». Elle ajoute : «Au SMT, nous considérons que Mustapha Ben Jaâfar, président de l'ANC a violé le règlement intérieur de la Constituante en permettant que la discussion de l'article 6 objet de la discorde soit ajournée et en autorisant les constituants à discuter les articles qui viennent après l'article en question. L'article 90 du règlement intérieur de l'ANC précise en effet que les articles de toute loi sont examinés successivement. L'article 6 du projet de la loi organique sur l'instance devait retourner à la commission de législation générale afin qu'il soit reformulé». Que fera le SMT au cas où le projet de loi serait voté comme proposé par la commission et que les exigences des magistrats ne seraient pas satisfaites ? «Pour nous, précise Raoudha Laâbidi, tous les recours sont possibles. Outre la grève ouverte prévue pour les 17 et 18 courant, nous boycotterons l'élection de la prochaine instance au niveau des candidatures et de la participation au vote. Il est possible également que les magistrats décident d'arrêter la rédaction des jugements déjà rendus et de s'empêcher de rendre des jugements bien que les audiences soient tenues».