Depuis plus de deux semaines, les magistrats occupent le devant de la scène politique nationale, à travers leurs deux structures représentatives, le Syndicat des magistrats tunisiens (SMT) et l'Association des magistrats tunisiens (AMT). Celle-ci a appelé à un sit-in hier devant l'ANC dans la foulée de l'examen du projet de loi organique portant création de l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire. Ces débats qui ont accompagné les différents projets proposés par les uns et les autres (le syndicat, l'association et le ministère ont soumis des projets à l'ANC) ont focalisé essentiellement sur la composition de l'instance, les sanctions disciplinaires que subiront les magistrats, l'évolution de leur carrière et les mouvements de mutation auxquels ils sont astreints périodiquement. Entre une indépendance relative du pouvoir judiciaire et une République souveraine des juges, le débat ne manque pas de tension. La première mouture du projet de loi a été d'ailleurs rejetée début juillet 2012, suite au refus des constituants d'accorder à l'instance la qualité d'instance indépendante. Que prévoit le nouveau projet discuté hier par les constituants? A-t-il réussi à dépasser les points de discorde? Les 22 articles qui composent ce projet sont-ils conformes aux normes internationales longtemps revendiquées par les magistrats dès les premiers jours de l'avènement de la révolution du 14 janvier 2011? Eclairages. Une constatation d'emblée : le terme «indépendante» est abandonné puisque l'article 1 n'y fait aucune référence. Ainsi stipule-t-il : «Est créée une instance veillant sur les affaires de l'ordre judiciaire et remplaçant le Conseil supérieur de la magistrature. Elle sera désignée par le terme ''instance''. Elle se compose d'un président et de 20 membres et sera présidée par le premier président de la Cour de cassation». L'instance comprendra, toujours selon l'article, dix magistrats élus par leurs pairs, cinq hauts magistrats désignés ès-qualité et cinq autres membres proposés par les pouvoirs exécutif, législatif et l'avocature et n'appartenant pas à la magistrature. Ces cinq derniers sont supposés être des militants des droits de l'Homme, neutres et indépendants parmi eux un avocat du barreau. L'instance se compose (article 2) de deux structures : le Conseil des magistrats et le Conseil de discipline. Quelles sont les prérogatives dévolues au Conseil des magistrats et dispose-t-il d'un pouvoir effectif pour faire appliquer ces décisions ? D'après l'article 4 du projet de loi, le Conseil des magistrats est chargé de «préparer le mouvement des magistrats (désignation, promotion, mutation) en prenant en considération l'ancienneté, la compétence et la carrière professionnelle des magistrats concernés, puis soumet ses travaux au ministre de la Justice». Seulement, l'article reste muet sur le sort de ces propositions et n'indique pas si elles ont un caractère exécutoire ou si le dernier mot revient au ministre de la Justice. Pour ce qui est du Conseil de discipline, il sera présidé, selon l'article 7, par le premier président de la Cour de cassation et comporte dans sa composition deux hauts magistrats désignés et deux magistrats élus ayant le même grade que le magistrat déféré devant ce même conseil. Et c'est le ministre de la Justice (article 9) qui défère le magistrat incriminé devant le conseil de discipline sur la base d'un rapport soumis par l'inspection générale. Le même article précise que «les décisions du conseil de discipline sont transmises au ministère de la Justice qui ordonne leur mise en exécution». Les élections sous la coupe de l'ANC Comment seront choisis les membres de l'instance provisoire de l'ordre judiciaire ? Les articles 12 et 13 apportent la réponse à cette question. Aussi est-il spécifié dans l'article 12 qu'«une commission indépendante se chargera de la préparation des élections, de leur conduite et de leur contrôle» quant à l'acceptation des candidatures et au dépouillement des voix déclarées. Seulement les membres de cette commission, au nombre de 9, seront, d'après l'article 13, «choisis et désignés par le bureau de l'Assemblée nationale constituante parmi les candidats à cette mission devant être des magistrats et des personnalités nationales appartenant au monde du droit et ayant de l'expérience dans le domaine des élections». Résultat : les élections de l'Instance des magistrats se dérouleront sous la coupe d'un autre pouvoir, le pouvoir législatif, représenté par le bureau de l'ANC qui aura à choisir et à désigner (le texte de l'article 13 est on ne peut clair et précis) ceux qui assureront l'opération électorale de A à Z. Faut-il préciser que la mainmise sur les magistrats préconisée par ce projet de loi ne concerne pas uniquement le pouvoir exécutif en la personne du ministre de la Justice qui gardera ses pouvoirs sur les juges. Elle implique également le pouvoir législatif représenté par le bureau de l'ANC et en premier lieu son président, auxquels le projet de loi en question offre la possibilité de sélectionner les «architectes» de l'opération électorale qu'ils jugeront les plus aptes à appliquer les instructions. Quant au restant des articles du projet de loi, ils sont à caractère réglementaire, s'intéressant particulièrement aux conditions de candidature, aux modalités du scrutin, à la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature immédiatement après l'annonce de l'élection de l'instance provisoire et l'obligation de soumettre au Conseil des magistrats les désignations et les mutations opérées par le ministre de la Justice, par le biais de notes de service.