L'Association des mélomanes de Tunisie (Unisson) proposait mercredi, au Théâtre municipal de Tunis, le premier des deux concerts prévus dans le cadre de la seconde édition du «Printemps des mélomanes». Edition turque, cette année, en hommage au virtuose du qanun, Halil Karaduman, disparu en 2012, avec le concours d'un ensemble («Takht») formé de sept musiciens et chanteurs parmi ses proches et amis. Halil Karaduman était un cithariste de renommée internationale, soliste d'exception, compositeur émérite, dont les œuvres jouissent d'une large audience populaire en Turquie. Connu et apprécié, également, en Tunisie, spécialement des publics initiés qui ne manquaient jamais d'aller l'écouter et l'applaudir à chacune de ses fréquentes visites. Idem, à l'occasion de l'hommage posthume qui lui a été rendu, mercredi, à la «Bonbonnière». Assistance, somme toute, nombreuse, respectueuse du moment, ravie, surtout, de suivre un programme digne de la mémoire du grand artiste. Un programme de pure facture classique, puisé dans la tradition, spécifiquement turque, des pièces instrumentales, «samaï», et «lounguas», dans les «Achghals» (suite de mouachahats) hérités de «la nouba» andalouse, mais aussi dans les répertoires de la chanson du patrimoine, ancienne et contemporaine, dont quelques titres (à part des «sawamets») signés par Halil Karaduman lui-même, cela allait de soi. Musique de qualité, authentique, hiératique dont, seule, sait entretenir le charme et le goût, l'école musicale turque. Orchestre et voix de haut standing, en plus, autre constante de la pratique musicienne en Turquie. Pas un instrumentiste qui ne ressortait du lot. Technique et prouesses captées «individuellement», par-delà la sonorité collective, le propre des «takhts» classiques (l'addition des talents solistes culmine dans le tout). Un régal pour l'ouïe que Mert Demircioglu au qanun, doigté vertigineux, passages de tons à tons fluides, rapides, énorme impro «hijaz kar» surtout. Jeune cithariste, mais déjà maître de son instrument : Karaduman laisse un brillantissime émule, il est pérennisé! Evert Nete Aslan au luth, Ali Tüfekci au nay, la toute jeune Nagme Yarkin au «rabab» étaient tout aussi admirables, par moments franchement saisissants, des «concerts» dans le concert, on ne s'en lassait à aucun instant. Le principe de qualité Que dire encore du chant, sinon qu'il était dans une parfaite justesse, appliqué, méthodique et expressif à la fois. Oya isboya, bel aigu, «filimorme», cristallin, et Hamdi Demircioglu, sur le registre grave, ample, coloré, ont proposé de superbes duos dans deux suites «kordi» (mode lancinant, dans la veine sentimentale turque), et «hijaz kar» (majestueuse polyphonie). Mais l'une et l'autre ont vraiment excellé, chacun à sa manière, dans les chansons du patrimoine. Une chance, en fin de compte, que d'avoir été là. Les bons concerts nous manquent depuis quelque temps. A ce niveau, tout particulièrement, ils sont devenus rares, très rares. L'avantage de ce concert-hommage à Halil Karaduman a été, précisément, de nous démontrer que bien interprétée, restituée avec compétence et performance, la musique dite savante est source de plaisir dans l'absolu, accessible à toutes les écoutes, à toutes les perceptions. Il n'y a de bonne musique qu'avec de bons musiciens. L'école turque n'a jamais dévié de ce principe. Au Machreq et au Maghreb, ici en particulier, nos mélodies sont sans doute plus riches, plus nuancées, nos voix sont sûrement plus inventives, plus créatives, mais nos pratiques musiciennes demeurent hélas moins sélectives, moins intransigeantes. Si la musique égyptienne n'est plus ce qu'elle est, si la chanson tunisienne n'arrive plus à s'imposer jusque sur ses propres terres, si le commerce sévit dans l'espace musical arabe, réfléchissons-y, bien, ce ne serait, que pour cette seule et unique raison.