Par Habib CHAGHAL Depuis le fameux décret-loi n°15 ayant entraîné l'interdiction aux anciens responsables de l'ex-RCD de se présenter aux élections d'octobre 2011, les dirigeants nahdhaouis continuent de menacer ces dizaines de milliers de Tunisiens à la diète politique pour au moins sept ans, période suffisante pouvant permettre à leur parti actuellement au pouvoir d'asseoir définitivement son emprise sur les institutions de l'Etat, à moins d'une prise de conscience de la part des autres acteurs politiques, soucieux de barrer définitivement la voie à la dictature. Le projet de loi dite «de l'immunisation de la révolution» actuellement en discussion dans la commission de la législation générale aurait pour objectif, selon ses promoteurs, le bannissement des anciens responsables du RCD de toutes les activités politiques afin d'empêcher leur retour au pouvoir et par conséquent le retour de la dictature. Pourrait-on imaginer un mensonge plus grotesque ? S'il est tout à fait légitime pour tous les Tunisiens, sans exception, de vouloir s'opposer au retour d'un pouvoir despotique, il n'en est pas moins vrai que ce projet de loi ne pourrait, en aucun cas, empêcher le retour de la dictature, à moins de prouver que tous les Tunisiens, en dehors des destouriens, sont génétiquement immunisés contre la dictature. Ce qui est absurde. Si les nadhaouis présentent ce projet de loi à l'Assemblée nationale constituante, c'est qu'ils ont la conviction que tous les autres constituants sont soit des incompétents, soit des naïfs. En effet, le principal rôle de la constituante est la construction, au travers de l'élaboration de la Constitution, de mécanismes institutionnels empêchant l'instauration d'un pouvoir despotique ou dictatorial. Or de deux choses l'une: ou bien la Constituante, dans laquelle les nahdhaouis sont majoritaires, adopte de tels mécanismes rendant tout retour au despotisme impossible et dans ce cas il n'y aurait plus rien à craindre ni des ex-RCD ni de n'importe quel autre mouvement politique et en conséquence le bannissement des ex-rcdistes des prochaines élections serait purement et simplement une opération d'élimination d'un adversaire politique avec tout ce qui en découlerait sur le plan du respect des droits de l'Homme et de la paix sociale, ou bien il n'existe pas de volonté de faire adopter de telles mesures par la Constituante, ce qui ouvrirait nécessairement la voie à une nouvelle dictature qui serait très dangereuse, car elle viserait le modèle social actuel et tous les acquis de la modernité. Selon les récentes déclarations du président d'Ennahdha et de ses collaborateurs (en dehors de Jébali et Mourou), la loi concernant l'élimination des anciens responsables de l'ex-RCD de la vie politique devrait être adoptée, ce qui voudrait dire que des instructions ont été données pour qu'il n'y ait pas dans la nouvelle Constitution de mécanismes institutionnels empêchant tout retour au despotisme. Il est paradoxal qu'aucun de nos experts constitutionnalistes n'a abordé cette question principale, aussi bien à l'intérieur qu'en dehors de la Constituante alors qu'ils avaient utilisé toutes les élucubrations des constructions juridiques empruntées à toutes les révolutions pour justifier le décret-loi n°15 concernant l'élimination des destouriens des élections de 2011. Il n'est cependant pas trop tard, pour eux, de conseiller les constituants afin de faire adopter de tels mécanismes au sein de la Constitution, ils démontreraient ainsi que derrière la loi concernant «l'immunisation de la révolution» il y a une volonté délibérée pour la mise sous tutelle de l'Etat tunisien par le parti Ennahdha. Faut-il rappeler, à tous ceux qui nous accuseraient de procès d'intention envers ce parti, que des nahdhaouis ont occupé, pernicieusement, plus de 3.000 postes décisionnels dans la haute administration nationale et régionale au bout de 15 mois de pouvoir. Notre objectif de construire un Etat démocratique nous oblige, moralement, à convaincre les responsables radicaux du parti Ennahdha de se débarrasser de leurs arrière-pensées politiques liées à une mouvance internationale ayant des objectifs qui ne concordent pas avec les intérêts de notre pays. Notre devoir est de les associer, grâce à un dialogue utile et sincère, aux autres partis politiques et à la société civile pour répondre aux ambitions et à l'aspiration de la jeunesse tunisienne vers plus de progrès, plus de dignité et plus de justice selon une démarche exclusivement tunisienne. Aidons-les à s'inspirer de notre propre histoire et d'être fiers de tous les acquis civilisateurs, œuvres d'une nation millénaire, engagée, de tout temps, dans son environnement méditerranéen, loin, très loin, des pensées réductrices caractérisant une culture de l'ignorance de la passion.