2.500 actes médicaux fictifs facturés par un spécialiste et 58.000 dinars indûment perçus Intervention chirurgicale et consultations fictives réglées et le montant global mal acquis de 250.000 dinars restitué à la Cnam Le conflit entre la Cnam et ses médecins conventionnés continue à faire couler encre et salive depuis un certain temps et, surtout, depuis l'avènement de la révolution. Le «pourquoi» du contentieux ? Une majoration des honoraires des médecins sérieusement promise, au terme de longues négociations en 2010, a été remise en question par la nouvelle équipe dirigeante de la Cnam et sa tutelle, en l'absence d'avenant co-signé par les contractants. Motif de la marche arrière, les trésors de la Cnam et le budget de l'assuré ne sauraient supporter à présent, par temps de «disette» et de vaches maigres, le moindre surplus de charges budgétaires. De l'autre côté de la barrière, on n'est pas si convaincu de la justesse du raisonnement, tirant argument du principe de continuité dans l'administration, nonobstant le changement de dirigeants. Du coup, échange de bras de fer ! Des toubibs, forts du mot d'ordre de leur syndicat, ont tôt fait d'appliquer unilatéralement des tarifs non conventionnels que la Cnam a refusé d'ordonnancer aux ayants droit ayant transgressé l'une des principales clauses de la convention régissant ses rapports avec le corps médical adhérent. Mieux encore, la Cnam est allée jusqu'à sanctionner les médecins contrevenants par leur déconventionnement, pour des périodes allant jusqu'à dix ans. Les écho-cardiographies fictives : l'arbre qui cache la forêt Par ailleurs, on nous dit à la Cnam que des abus énormes sont commis par certains médecins conventionnés, surtout dans la filière du tiers-payant. En effet, plusieurs cas de consultations fictives ont été repérés dans différents centres. Ce qui n'est pas sans risque de porter un coup dur au régime d'assurance-maladie et affecter l'équilibre budgétaire de la Cnam, déjà difficilement maintenu... L'incident le plus grave et le plus récent est relevé dans un gouvernorat du Nord-Ouest où un cardiologue conventionné s'est permis de facturer des comptes rendus d'écho-cardiographies trois fois, espacées dans le temps, au nom d'un assuré vu par le médecin une seule et unique fois! L'enquête et l'expertise opérées, au niveau de la Cnam, ont bel et bien confirmé la fraude et permis de constituer un dossier bien ficelé et fort accablant contre le praticien en question. Un historique plein d'histoires ! Ce qui est plus grave et ahurissant, c'est qu'en poussant l'enquête et en vérifiant l'historique du toubib suspect, les services d'inspection de la Cnam ont eu à recenser pas moins de deux mille cinq cents actes médicaux imaginaires et frauduleux, accumulés au cours de la période allant de 2007 à 2012 , ce qui a procuré au présumé faussaire une recette indue de cinquante-huit mille dinars ! Et lui a valu la suspension de ses activités dans le cadre conventionnel. Déconventionnement? qu'à cela ne tienne ! Et malgré la mesure de déconventionnement prononcée contre lui par la commission nationale paritaire, le disciple peu regardant des principes de son maître Hippocrate n'a pas hésité à continuer son bonhomme de chemin, dans la voie de la fraude et des malversations. En effet, grâce à la connivence de deux de ses confrères cardiologues (établis dans le Grand Tunis) — qui lui ont fourni un bon petit stock d'ordonnances, libellées en leurs noms —, le fameux cardiologue s'est remis à consulter ses patients, en distribuant à tour de bras des ordonnances ne lui appartenant pas ! Sans oublier d'apposer les cachets des deux cardiologues complaisants et «solidaires» du confrère déconventionné. C'est le style personnel d'écriture qui a éveillé les soupçons des gars de l'administration et permis de confirmer le caractère frauduleux de ces consultations. Cela devait être corroboré par les déclarations des patients concernés qui ont tous affirmé n'avoir jamais eu affaire à un cardiologue exerçant dans l'un des gouvernorats du Grand Tunis. Dans leurs dépositions auprès des services d'inspection de la Cnam, certain patients concernés ont déclaré n'avoir pas fait attention au nom du médecin figurant à l'en-tête... Tandis que d'autres se sont dits analphabètes, ne sachant pas lire la langue de Voltaire... Le syndicat des médecins s'en lave les mains Nous avons en outre pris langue avec Dr Mahdi Dellai, membre du syndicat régional des médecins libéraux, qui n'a pas hésité à condamner, au nom de la confrérie, ces abus «qui, insiste-t-il, n'honorent en rien le corps médical imbu, dans sa grande majorité, des hautes valeurs universelles et des sacro-saints principes de la charte d'Hippocrate. Notre civisme et notre noblesse d'esprit nous commandent d'appuyer de toutes nos forces les efforts de la Cnam dans sa lutte contre la fraude et la supercherie. Et le corps médical n'est pas prêt à laisser cette institution stupidement s'écrouler devant leurs yeux, sans faire massivement acte de solidarité». La vésicule biliaire était là... pour témoigner Par ailleurs, on vient d'apprendre qu'un chirurgien conventionné vient de facturer à la Cnam, à grands frais, une intervention chirurgicale d'ablation de la vésicule biliaire, déclarée effectuée sur une quinquagénaire sans jamais être effectuée, échographie à l'appui. Après l'expertise d'usage, le praticien, opérant dans une clinique privée, a fait l'objet des mesures administratives en vigueur, en attendant l'engagement des poursuites judiciaires nécessaires. Les sous des «sans le sou» remboursés... Ce qui est effrayant et donne froid dans le dos, c'est que dans un seul gouvernorat du Nord du pays, une infinité de cas de fraude en tous genres et en particulier de consultations fictives ont été relevés et reconnus par tous les suspects. Les médecins généralistes impliqués ont été amenés à rembourser la totalité des fonds mal acquis, évitant d'être poursuivis. Le montant jusqu'ici remboursé oscille autour — tenez-vous bien ! — de deux cent cinquante mille dinars ! Sautes d'humeur et crise de colère L'on apprend aussi que, dans la matinée du jeudi 30 mai dernier, un médecin conventionné a pris à partie le chef du centre concerné pour lui avoir suspendu le mandatement de ses honoraires, supposés dus à la Cnam. Selon nos sources, cette suspension a été adoptée après que l'équipe dudit centre a douté de la régularité des ordonnances présentées. Estimant que la colère du toubib a dépassé les limites tolérées, la Cnam aurait vite fait d'engager des poursuites judiciaires contre l'intéressé pour outrage à fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions. Parallèlement, le cas du médecin aux honoraires suspendus sera soumis bientôt à la commission régionale mixte ad hoc. Cela dit, ce qui mérite d'être dit, c'est que la sagesse et la retenue devraient vite gagner tous les esprits au mieux des intérêts de toutes les parties et surtout de l'assuré social jaloux de son précieux acquis... Sans oublier de dire aussi que la filière du tiers-payant est une formule mal verrouillée, ouverte aux quatre vents du trafic et de la tentation! A la Cnam donc de l'immuniser parfaitement ou de s'en débarrasser carrément. Nos toubibs, toujours dans nos cœurs... Au final, quoi qu'il en soit, rien ne risque d'ébranler la confiance coutumière de tous en ces braves médecins, en très grande majorité honnêtes, vertueux et dévoués à leur noble métier. D'ailleurs, leur bonne renommée, leur technicité et leur savoir-faire ont fait de notre pays un véritable pôle d'attraction pour nos frères libyens, maghrébins et autres africains, en quête de soins et de bonne santé. L'on sait que le conseil de l'Ordre des médecins veille toujours au grain et ne rate aucune occasion de se montrer intransigeant, dès lors qu'il s'agit d'atteinte à la déontologie et à l'éthique professionnelle. Et l'on pense cette fois-ci qu'il n'hésitera pas un instant à traduire par les faits sa désapprobation totale et certaine de ces abus qui, aujourd'hui, déçoivent l'assuré et la rue dans notre pays.