Par Hamma HANACHI Les printemps se succèdent et ne se ressemblent pas. La Tunisie a donné le la des Printemps arabes partis plus tard en direction de la Place Ettahrir, Benghazi et Tripoli. Depuis, on ne cesse de découvrir des printemps sous toutes les couleurs, sous toutes les formes, sans se soucier des saisons, ni du temps qu'il fait, sans attendre le vol des hirondelles. Désormais, toutes les contestations, les rébellions de tous genres, endossent des habits printaniers, de Bahreïn à Paris, de Madrid à Athènes, du Yémen à Lisbonne, les contestataires, les anti- capitalistes, les anti-mondialistes, les pauvres, les indignés, les laissés-pour-compte ; chaque mouvement, chaque regroupement réclame sa part de printemps. Des places, des villes sont prises d'assaut, des mots d'ordre sont inventés, des mots simples, des fragments de poème sont clamés. La contestation est accompagnée sinon précédée par la culture, 2012, les rues d'Athènes s'enflamment, la crise financière a poussé les citoyens à manifester, une image fait le tour des télés, des femmes, des jeunes , des enfants portent des banderoles, des slogans d'apparence ordinaire, qu'on croirait inventés par les rebelles, «Si le printemps n'arrive pas, invente-le», un vers tiré d'un poème d'Odisseass Elytis, Prix Nobel de littérature en 1979. «Va plus vite que la décadence...» D'autres protestataires clament les vers de La symphonie du printemps de Yannis Ritsos (1909-1990, poète national) «Il cherche à détruire le dernier parfum de notre jardin...». Un an plus tard, un autre parfum jardin revient au-devant de la scène, les dernières fleurs d'asphalte ont poussé sur la place Taqsim à Istanbul transformée en symbole de l'insurrection de la jeunesse, la mèche allumée dans le parc Gézi, qu'Erdogan veut transformer en centre urbain, a mis le feu dans toutes les villes turques. Plus de 12 jours d'affrontements, le parc Gézi, un mouchoir dans la jungle stambouliote, devient un lieu de résistance, occupants et police en bataille rangée, avancées et reculs, conquête et perte de terrain... Ce n'est pas une guerre entre hommes, c'est une guerre de sens, de choix de civilisation, suivie par la communauté internationale, analysée par les politologues et autres géo-stratèges. Beaucoup d'images émouvantes circulent sur les écrans télé, sur les réseaux sociaux, l'une d'elle montre une scène, un temps clair, ombres sur le sol, arbres du parc Gézi, place Taqsim, des couples en jeans et tenues légères, l'un d'entre eux porte un masque de protection sur le visage, concentrés, ils exécutent dans l'insouciance des mouvements de tango, une danse d'origine argentine. La danse au milieu des nuages de gaz lacrymogène, l'art face au poison. L'art n'a pas déserté la scène tunisienne, loin s'en faut. Bchira Triki, dans son centre BAC à Sabbelet Ben Ammar, présente une exposition d'art contemporain intitulé « Rature ».Un thème d'actualité qui inspire des artistes connus et des expressions multiples, des vidéos, des installations, etc. Rature du passé, du présent, effacement de la mémoire, trace du doigt qui vote, photos d'actualité saturées, installation brisée...Doit-on recommencer à zéro ? Au centre d'art Sadika (Gammarth), sur une idée de deux femmes, Faouzia Sahli et Sadika Kammoun, Mahmoud Chalbi, artiste, photographe, agitateur polyvalent, a créé l'événement de la saison : AnouartTounès. Une forme de foire qui a tout l'air de remplacer le Printemps des arts de La Marsa. Ici, se côtoient toutes les tendances, croisement d'œuvres différentes, des toiles, des collages, des dessins, des installations, des happenings, des photos... des amateurs, des professionnels, des anciens, de nouveaux venus... une grande attraction enrichie par les chansons, la déclamation de poèmes, la danse, bref, la fête totale. L'événement se poursuit jusqu'au 22 du mois, il sera clos par la Fête de la musique. Le clou de «l'exposition», qui a attiré le public, est un ensemble de photos signé H.D. Juste à l'entrée de la galerie, à droite, 4 photos montrent des artistes, cadre noir, 3 d'entre elles sont en longueur, chacune montre un personnage de face, massif, tout en chair, la tête ceinte d'une couronne de bougainvillier coloré, un slogan en noir sur le ventre rose en soutien à la jeune Amina emprisonnée. Une grande photo en largeur au milieu réunit les 3 artistes, ils sont en mouvement, joyeux comme des lurons, sur un balcon, fer forgé bleu, arbres, ciel jaune et ventre au vent. On lit sur leur corps «Free Amina» «Break Feed Revolution» et «Woman Spring is coming». Le printemps des femmes arrive ou, quand la lutte d'une jeune fille passe le relais aux artistes.