Par notre envoyé spécial à Damas Soufiane Ben Farhat Certains protagonistes du conflit syrien nourrissent d'étranges obsessions. Les revers subis ces dernières semaines par la rébellion armée ouvrent la voie à la bataille décisive d'Alep. Depuis la prise, le 5 juin, de la ville d'Al-Qousseir par l'armée régulière, épaulée par les combattants du Hezbollah, la donne semble en passe de se renverser. Les lignes, routes et aires d'ancrage, de positionnement — et d'approvisionnement — stratégique favorisent les forces loyalistes. Le siège de la partie nord d'Alep semble imminent. La bataille durera assez longtemps. Celui qui l'emportera gagnera la guerre. Pour parer au rouleau compresseur de l'armée arabe syrienne, les insurgés exigent un armement adéquat de la part des pays occidentaux. Ils comptent sur les armes antichars et surtout sur les missiles sol-air pour contrer l'aviation. L'été dernier, Alep a été le théâtre de violents combats opposant les forces loyalistes aux rebelles. Pour parer à l'offensive des rebelles, la contre-offensive de l'armée régulière a mobilisé quelque 20 mille soldats. Dès le mois d'avril 2013, le sud de la ville est sous le contrôle total de l'armée syrienne. Elle a même réussi à couper les voies de jonction entre l'Armée syrienne libre (ASL) et le Front Al-Nosra. Un topo favorable au régime Ces deux dernières semaines, l'armée loyaliste additionne les gains tactiques. De son côté, la Turquie d'Erdogan, principal soutien de terrain des insurgés, s'empêtre dans des dissensions internes assez graves. Suffisamment pour en réduire la marge de manœuvre comme peau de chagrin. La prise d'Al-Qousseir a cadenassé la voie d'accès libanaise en armes, argent et combattants en faveur de la rébellion. En même temps, l'Iran a négocié avec fluidité le cap des élections présidentielles tant redoutées. Les Russes et les Chinois, de leur côté, semblent prêts au bras de fer avec les occidentaux sur la Syrie. Ce qu'ils font savoir haut et fort. En deux mots, le topo est plutôt favorable, momentanément, au pouvoir syrien. Et ce n'est pas tout. Les responsables israéliens estiment, en effet, que le pouvoir syrien pourrait l'emporter grâce au soutien de l'Iran et du Hezbollah libanais. Le ministre israélien des Affaires internationales, de la Stratégie et du Renseignement a estimé le 10 juin que le président syrien Bachar Al-Assad pourrait remporter la guerre dans son pays : «Cela pourrait être possible, Al Assad (...) pourrait prendre le dessus dans la guerre. Je pense que cela est possible. A ce stade du conflit, si l'opposition ne fait pas de progrès et le régime réussit à survivre et à obtenir un très fort soutien (...) à savoir de l'Iran et du Hezbollah (...) il pourrait en fin de compte survivre», a affirmé le ministre Youval Steinitz devant l'Association de la presse étrangère. Et d'ajouter que l'armée syrienne reçoit un important soutien de l'Iran et du Hezbollah qui envoient des milliers de combattants en unités très structurées et très bien équipées. «Cela pourrait aider», conclut-il. Le responsable israélien exprime on ne peut mieux ce que ressentent les insurgés et leurs mentors et soutiens, aussi bien les Turcs que les Arabes du Golfe, Qatar et Arabie saoudite en prime. Les yeux se tournent vers l'Europe de l'Ouest. Et surtout vers les Etats-Unis d'Amérique. Le 13 juin, la Maison-Blanche a parlé. Elle a annoncé qu'elle prévoyait de fournir une assistance militaire aux rebelles syriens. Prétextant de l'usage du gaz sarin, l'administration Obama a affirmé que le gouvernement Al-Assad avait franchi la «ligne rouge». Malgré la joie affichée des uns et des autres, ce n'est guère un fait inédit. En avril dernier, la Maison-Blanche avait donné son feu vert pour la fourniture d'une aide aux rebelles syriens. Mais, comme le souligne le New York Times, jusqu'à présent, seul de l'équipement médical et des vivres ont été acheminés en Syrie. Dès lors, les observateurs avertis s'interrogent. La bataille décisive d'Alep surviendra-t-elle avant que l'aide américaine ne soit acheminée ? En vérité, l'administration Obama fait face à un dilemme. Elle est divisée sur la question de l'intervention ou non dans le conflit syrien. Aux dires d'un fin analyste du New York Times, «les officiels de la Maison-Blanche demeurent prudents et Benjamin J. Rhodes, l'un des conseillers du président Obama en matière de politique extérieure, a quasiment exclu l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne». Autrement dit, l'establishment américain n'est pas totalement acquis aux perspectives que les partisans d'une intervention militaire US en Syrie réclament. The New Republic estime même que «le point de presse du 13 juin à la Maison-Blanche ressemblait à une étape intermédiaire entre la reconnaissance du problème et l'annonce d'une solution». Supplétifs et goumiers Les pays arabes sont, eux aussi, dans l'expectative. Ils savent que leur campagne anti-syrienne n'aboutira que moyennant l'engagement direct des Américains, des Occidentaux en général, voire d'Israël. Et ils observent l'étendue des dissensions, des clivages et des inimitiés, sinon des antagonismes dans le camp des insurgés. Eux ne sauraient agir autrement qu'en forces supplétives de soutien financier et logistique. Sinon en goumiers. Les méandres de la crise syrienne menacent d'engloutir tout intervenant frontalier étranger. La Jordanie, pressée de passer à l'acte en premier, hésite. Toute offensive extérieure en profondeur du territoire syrien pourrait faire remonter à la surface les vieux démons de l'implosion interne. La Turquie, elle, est aux prises avec ses propres diables. La persistance de la crise opposant les protestataires de la place Taksim aux autorités pourrait faire perdre patience à l'armée turque. Celle-ci voit d'un œil morne les velléités ottomanes et impériales d'Erdogan, dont l'usure du pouvoir a profondément entamé la crédibilité, à défaut d'alternance. Quant à l'Irak, il soutient mordicus la Syrie. C'est même l'un de ses principaux atouts régionaux. Depuis que les Américains l'ont quittée, la Mésopotamie est adroitement régentée par l'Iran. L'occupation américaine de l'Irak lui a offert sur un plateau en or ce qu'il n'a pu obtenir à la faveur de décennies de guerre avec Saddam Hussein. C'est dire l'impossibilité d'imposer un nouveau Sykes-Picot à la région à la faveur de la crise syrienne. L'éventuelle partition de la Syrie hante tous les protagonistes proches et lointains comme un effrayant spectre. Israël n'y trouverait guère son compte. La multiplicité des fronts disperse les rangs. D'autant plus que les djihadistes de tout poil grouillent et grenouillent dans les rangs de la rébellion syrienne. En Syrie, le drame se poursuit, sans perspectives de dénouement immédiates. Les populations civiles en sont les principales victimes. Elles se comptent par centaines de milliers. Les flux des réfugiés et des personnes déplacées, déboussolées et sinistrées, brassent des millions de Syriens. Dans le vieux Damas, les dallages des ruelles tortueuses remontent à l'époque omeyyade. Les colonnes de telle demeure illustre ont été érigées du temps des splendeurs de Byzance. Ici, des siècles durant, la civilisation a jeté son bâton de pèlerin. Aujourd'hui, les guerres, l'anéantissement de l'autre, les fanatismes et l'horreur étalent leurs plaies. On guerroie au nom de Dieu. Les dieux sont fatigués. Et les hommes n'en finissent pas de s'enfoncer dans leurs folies meurtrières. Une légende dit bien que c'est sur la montagne Qassioun surplombant Damas que furent créés Adam et Eve. Et c'est là qu'aurait eu lieu le meurtre commis par Caïn. Et c'est tout dire. Et c'est fini. - Une guerre mondiale en Syrie - La Syrie tout feu tout flammes (I)