Tant attendu, le congrès national contre la violence et le terrorisme, a fini par s'imposer comme un événement d'envergure, mobilisant quelque 300 associations et une centaine de partis politiques, toutes sensibilités confondues. Hier, au Palais des Congrès à l'avenue Mohamed-V, en plein centre-ville à Tunis, le rendez-vous était à la mesure des objectifs que les quatre organisateurs, la Ltdh, l'Ugtt, l'Ordre des avocats et l'Institut arabe des droits de l'Homme, cherchaient à atteindre. La manifestation a vu la participation d'hommes politiques, de constituants, d'acteurs de la société civile venus de tous bords pour scander en chœur le même slogan du congrès : «Tous unis contre la violence et le terrorisme». 10h ou presque, la grande salle plénière affichait comble. D'emblée, avant même l'ouverture des travaux, tout a été bouleversé sur fond de colère et mécontentement. C'est que l'invitation indésirable de Adel El Almi, prédicateur et fondateur de l'Association de la promotion de la vertu et de la prévention du vice, devenue ensuite l'Association de la sensibilisation et de la réforme, a été considérée comme une « mission commandée » visant à mettre en échec cette initiative dénonciatrice de violence et de la nébuleuse terroriste qui continue de sévir dans nos murs, dans l'impunité totale. Et la foule a commencé à perdre contrôle dans le bruit. De plus en plus, les sympathisants du Parti des patriotes démocrates unifié, si nombreux, se sont levés contre la venue de M. El Almi qui a fait l'objet d'acerbes critiques, le qualifiant d'«un des prédicateurs qui prêchent la violence et sèment la haine et la zizanie». Toutefois, bien qu'il se soit senti malmené et humilié, étant pris pour une cible d'attaque, l'homme n'a pas voulu lâcher du lest. Dégage encore et toujours ! Et le fameux mot « dégage » lui a été jeté à la figure. Sans réaction aucune ! Plus tard, ce mouvement de protestation mené à son encontre a fini par se calmer pour permettre à Me Abdessatar Ben Moussa, président de la Ligue tunisienne de défense des droits de l'Homme, de prononcer son allocution d'ouverture. Au commencement, toute la salle avait observé une minute de silence à la mémoire de Lotfi Naghd, lynché à Tataouine, du militant Chokri Belaïd à qui revient initialement l'idée d'organiser un tel congrès, juste à la veille de son assassinat le 6 février dernier, mais aussi en hommage posthume à tous les martyrs de la Tunisie qui sont tombés victimes de la violence. Un phénomène, a-t-il repris, qui va encore crescendo, dans un climat de tensions nourri principalement du laxisme et de l'apathie politique, envenimant gravement la situation. Et Me Ben Moussa d'ajouter qu'au fil des jours et des mois, le spectre de la violence a pris une nouvelle tournure encore plus grave marquée surtout par la terrible liquidation du leader du Ppdu, Chokri Belaïd. « A partir de ce moment fatidique, on a décidé de répondre à l'appel de feu Belaïd pour tenir, maintenant plus que jamais, ce congrès contre la violence, s'y ajoutant le terrorisme», a-t-il fait savoir. Pour dire que les deux partagent les mêmes conséquences: crise économique et méfiance sécuritaire. Et ce qui se passe actuellement au mont Chaâmbi n'est qu'une preuve irréfutable d'un danger bien réel. La responsabilité est donc collective. « Nous ne voulons pas que ce congrès soit limité à des discours aboutissant seulement à des recommandations. Nous voulons nous mettre d'accord sur des décisions et des actions, parce que la violence, qu'elle soit verbale ou corporelle, est inacceptable...De même pour le terrorisme», a-t-il recommandé. Et le président de la Ltdh d'insister sur le fait que les propositions et les suggestions formulées puissent déboucher sur la conception d'un pacte national et l'élaboration d'une stratégie claire visant la lutte contre la violence et le terrorisme. Le processus démocratique à bon port Prenant la parole, M. Ghazi Ghraïri, professeur de droit constitutionnel et coordinateur général du congrès, a commencé par considérer le congrès comme un congrès décisif au regard de la situation dans le pays. «Un congrès dont nous sommes fiers», interpelle-t-il. Selon lui, ce qui importe aujourd'hui est de mener le processus démocratique à bon port. Et d'enchaîner, dans le même ordre d'idées: «Il n'y a plus de transition démocratique dans un climat où prévalent violence et terrorisme. Nul ne peut nier la prolifération de ces phénomènes récurrents». Face à ces sérieuses menaces qui pèsent lourd sur la paix sociale et la stabilité du pays, a-t-il indiqué, toutes les parties prenantes ont convenu de ne pas rester les mains croisées. Tous devraient agir dans l'ordre de cette nouvelle réalité. Hommes politiques, journalistes, juristes, intellectuels jusqu'au simple citoyen, la violence n'a épargné personne, au travail, dans la rue ou à domicile. C'est ce qui nous a poussés, face au mutisme du gouvernement, à organiser ce congrès qui se veut une réponse à toutes les questions préoccupantes, afin de pouvoir tracer les contours futurs. Il a déploré l'émergence, ces derniers mois, de groupes extrémistes organisés et méthodiques qui sévissent partout, gagnant en ampleur et dangerosité dans le silence total des parties officielles. «Tous les courants politiques et les associations sont unanimes pour que ce congrès soit un cadre idéal de dialogue et d'échange, dans le but d'éradiquer à la racine ces fléaux menaçants», a-t-il argué. La philosophie de ce congrès consiste à faire participer toutes les forces vives de la société, à l'échelle nationale et locale, jeunes et femmes aussi, dans la perspective de mettre en place un pacte national contre la violence et le terrorisme. Sept ateliers De son côté, le président de l'Institut arabe des droits de l'Homme, Abdelbassat Ben Hassen, a focalisé sa communication sur les méthodologies du travail des ateliers programmés. Au nombre de sept, il s'agit de l'atelier de la sécurité, du terrorisme, du rôle de la justice, de la marginalisation et de l'exclusion, de l'éducation et de l'enseignement, de l'information et de la culture, ainsi que l'atelier de la femme et la violence. Ces ateliers coordonnent et se concertent pour sortir avec une motion générale comportant les recommandations nécessaires. L'ultime but est de parvenir à concevoir une stratégie nationale de lutte contre la violence et le terrorisme. L'intervention de Ben Hassen a été brusquement interrompue. Les cris de protestation et les «dégage» qui ont éclaté de partout venaient de reprendre de plus belle. Le visiteur boudé Adel El Almi est parvenu à la tribune, où il a été piétiné par la foule. Les jeunes sympathisants du Ppdu n'ont cessé de l'insulter. Et les réactions et commentaires fusaient. «Ce congrès est celui de Chokri, le premier à avoir appelé à sa tenue, comme il était le premier à avoir subi les conséquences de la violence et du terrorisme...», nous a indiqué Abdelmajid Belaïd. Il nous a révélé : «Nous allons user de tous les moyens possibles pour pousser, à tout prix, à la dissolution des ligues de protection d'Ennahdha», comme il préfère les appeler, en raison de leur allégeance au parti au pouvoir. Sans pour autant manquer de revendiquer le dévoilement de la vérité et les rebondissements de l'enquête sur l'assassinat de son frère, il y a de cela cinq mois. Il pointe du doigt le parti Ennahdha qu'il accuse d'être impliqué dans cet acte terroriste et d'avoir la mainmise sur ce dossier épineux. Aujourd'hui, deuxième journée du congrès au siège de l'Utica. Ce sera au tour des trois présidents, de la République, du gouvernement et de la Constituante, de se prononcer sur la question et les défis majeurs à relever pour rétablir la situation dans le pays. Vers 11h, les travaux vont révéler leurs secrets. Les chefs des partis et les présidents des associations devraient signer le pacte national contre la violence et le terrorisme.