Par Othman Ben Fadhel «La langue de la Tunisie est l'arabe » : à cette proposition à caractère sentimental et populiste, s'opposerait une deuxième proposition : « La langue officielle dans les institutions publiques de la République tunisienne est l'arabe littéraire » dont le caractère juridique de droit constitutionnel est plus tranché. D'après cette deuxième proposition, c'est l'Etat tunisien, c'est-à-dire l'ensemble des institutions publiques tunisiennes qui sont appelées à s'exprimer dans la langue arabe. Plus exactement, se sont plutôt les serviteurs de l'Etat qui vont le faire car en tout état de cause, l'Etat est une personne morale; il est comme un mineur qui ne sait ni lire ni écrire. Dire que « la langue d'un Etat est l'arabe » est un oxymore, une affirmation dont l'un des deux termes contredit l'autre. C'est comme si l'on disait que « ce sourd muet parlait l'allemand ou l'italien ». Il serait plus juste de dire que « la langue officielle pratiquée par les agents de l'Etat tunisien est l'arabe ». Cette dernière proposition nous rapproche plus de la réalité et des problèmes pratiques posés. Elle aide ainsi à mieux les résoudre dans la mesure où elle sous-entend l'existence de règles juridiques à caractère législatif, administratif ou juridictionnel liés à l'usage de la langue arabe par l'administration publique et les tribunaux tunisiens. Le principe constitutionnel selon lequel la langue officielle en usage par les agents de l'Etat est l'arabe doit être nuancé pour tenir compte de la complexité intrinsèque de la réalité quotidienne des divers citoyens et autres personnes qui vont s'adresser aux agents de l'Etat. Ce principe doit s'articuler et s'harmoniser avec d'autres principes constitutionnels aussi importants : - tel que celui de la liberté d'expression et la liberté de la langue, - ou bien le principe de l'autonomie de la volonté selon lequel l'Etat, comme toute autre personne physique ou morale, est appelée à respecter ses engagements quel que soit leur mode d'expression (article 242 du Code des obligations et des contrats). Citons à titre d'exemple les conventions de concessions pétrolières rédigés en français et ratifiée par la loi, ainsi que certaines conventions internationales à caractère législatif rédigées dans plusieurs langues autres que l'arabe et qui sont ratifiées par la Tunisie... Tous ces principes (notamment la liberté d'expression et le principe de l'autonomie de la volonté) sont d'une égale importance. Ils peuvent être considérés comme étant des principes naturellement de droit constitutionnel. Les principes de droit constitutionnel qui sont admis de tous mêmes s'ils ne sont pas écrits sont des principes constitutionnels de droit naturel. Ainsi, de toute évidence, la dénonciation d'un crime ou d'un délit dans une lettre adressée à une autorité publique en français n'est pas une raison pour que cette lettre ne soit pas examinée. Il en est de même d'une demande de congé ou d'un certificat médical… Les principes de liberté d'expression et de liberté de langue ainsi que le principe de l'autonomie de la volonté sont écrits dans plusieurs Constitutions notamment dans la Constitution de la Suisse du 18 Avril 1999. La rencontre des problèmes de terrain liés à la pratique de la langue arabe et aux « langues étrangères », problèmes relevés pendant des décennies de pratique en tant qu'avocat et en tant que professeur de l'enseignement supérieur, nous incitent à réfléchir sur les solutions à envisager dans l'avenir pour les éviter. Aussi, nous nous permettons modestement de suggérer le remplacement de la première proposition « sa langue est l'arabe » qui figure dans l'article premier de la Constitution de 1959 par les dispositions constitutionnelles plus explicites telles que celles qui suivent: Langues 1 - La langue officielle dans les institutions publiques de la République tunisienne est l'arabe littéraire. L'enseignement de la langue arabe est encouragé comme langue de savoir et de culture. 2 - Le Journal Officiel de la République Tunisienne est publié en arabe et en français. En cas de contradiction entre les deux langues, la langue arabe fait foi. Les conventions internationales ratifiées par la Tunisie dont n'existe pas une version officielle en arabe sont valables au même titre que les autres conventions internationales. 3 - Nonobstant le principe de la liberté d'expression, les requêtes adressées aux institutions publiques doivent être rédigées en arabe. Toutefois, les requêtes adressées en langue étrangère aux administrations centrales, régionales ou autres sont admises à condition qu'elles soient compréhensibles par les agents de l'Etat. Les actes rédigés dans une langue étrangère sont valables. Les notaires peuvent à la demande de leurs clients rédiger leurs actes en langue étrangère. 4 - Les actes judiciaires et les actes des huissiers de justice sont rédigés en arabe. Les pièces jointes aux actes d'assignation devant les tribunaux ou versés dans des expertises ou autres dossiers qui sont rédigées en langue étrangère sont admises. 5 - Lorsqu'un document rédigé en langue étrangère est soumis à l'examen d'une autorité publique, tel un juge, celui-ci peut en ordonner en cas de besoin la traduction partielle ou totale dudit document en arabe ou dans une langue connue par lui. 6 - Les actes des huissiers-notaires rédigés en langue étrangère en application d'une convention d'entraide judiciaire sont valables. 7 - Afin de promouvoir l'économie et les échanges à l'échelle internationale et d'encourager les échanges scientifiques et culturels avec toutes les communautés étrangères, l'enseignement des langues étrangères est encouragé. 8 - Afin de permettre aux Tunisiens d'accéder à d'autres cultures, l'enseignement des matières de sciences humaines et de sciences exactes en langue étrangère est encouragé. II - Religions, liberté de conscience et de croyance A la fin du 19e siècle, la Tunisie a opté pour un système juridique de droit écrit en insérant les règles de droit qui la régissent au Journal Officiel de Tunisie. C'est là un grand pas vers la modernité dans la mesure où le droit écrit, supposé être convenu et connu de tous, va s'imposer à tous les Tunisiens, leurs administrations et leurs juges... Les acquis de ce système se sont accumulés notamment par l'adoption en 1906 du Code des obligations et des contrats et par la promulgation d'autres codes plus récents parmi lesquels on peut citer le Code du statut personnel de 1956. Ces codes sont désormais applicables à toutes les personnes soumises au droit tunisien quelles que soient leurs croyances religieuses, alors qu'avant les Tunisiens étaient soumis à des règles de droit hanéfite pour les hanéfites, des règles de droit malékite pour les malékites et de droit juif pour les juifs… Mais c'est surtout l'adhésion de la Tunisie au système universel des droits de l'Homme qui va consolider les acquis du droit écrit et permettre aux Tunisiens et aux Tunisiennes d'accéder à un statut juridique égalitaire symbole de progrès et d'espérance. Encore faut-il que le droit constitutionnel consolide ces acquis. A cet effet, il y a lieu que les forces progressistes militent franchement pour que des dispositions telles que celles qui suivent soient défendues dans les programmes électoraux à venir : 1 - Dans les limites des conventions internationales sur les droits de l'Homme et de la loi, l'Autorité centrale et les autorités régionales veillent au développement de la culture musulmane dans la tolérance et le respect de la liberté de croyance et de l'amitié entre les peuples. Elles prennent les mesures propres à maintenir la paix entre les divers membres de la communauté tunisienne et notamment entre les diverses tendances islamiques et autres. 2 - L'Etat veille au respect des traditions religieuses et en particulier à la célébration des fêtes religieuses musulmanes conformément à des calendriers préétablis. 3 - La liberté de conscience et de croyance est garantie. Toute personne a le droit de choisir librement sa religion ainsi que de se forger ses convictions philosophiques et de les professer individuellement ou en communauté. 4 - La loi fixe les attributions et les modalités de désignation des membres du Conseil Supérieur Islamique. Les attributions de ce conseil sont strictement liées au culte. Dans la composition des membres de ce conseil, la parité hommes / femmes doit être respectée. Les membres du Conseil Supérieur Islamique sont au nombre de huit élus par le Parlement pour une année renouvelable parmi les candidats et les candidates ayant une compétence universitaire reconnue dans le domaine des sciences et de la religion musulmane. 5 - L'exercice des activités politiques dans les lieux de culte est interdit. Dans les lieux de culte, il est interdit de complimenter les politiciens ou de les critiquer. 6 - Dans les lieux de culte, il est interdit d'appeler à la haine entre les peules ou de proférer des insultes contre les juifs, les chrétiens, les sabéens ou autres personnes appartenant à d'autres religions ou croyances. 7 - Les pratiques cultuelles sur les lieux publics et les lieux de travail sont interdites.