La discussion de la loi d'immunisation de la révolution a démarré hier à l'ANC dans une atmosphère chauffée à blanc et marquée par des violences physiques contre les journalistes et des duels politiques entre constituants Un texte de loi proposé par le parti du président de la République, le CPR, et soutenu avec émulation et force arguments par les constituants d'Ennahdha. Le troisième parti politique de l'alliance gouvernementale, Ettakatol, jouait à l'équilibriste, en essayant de concilier à travers les interventions de ses élus, entre les pro et les anti du projet de loi. C'est Mustapha Ben Jaâfar qui a commencé par présider la séance matinale aux alentours de 10h, pour être rapidement secondé par sa première vice-présidente Mehrezia Laâbidi, qui aura finalement, au cours de cette législature transitoire, assuré bien plus que lui la présidence des plénières. On agresse les journalistes C'est la commission de la législation générale, présidée par Khalthoum Badreddine, élue Ennahdha, qui a pris en charge de préparer le projet de loi. Un texte en 10 articles présentés pour la plupart en une seule version. Or, avant de discuter aussi bien la forme que le fond, le choix de la commission marraine du projet a été contesté d'emblée par certains élus. Cette loi touchant les libertés individuelles aurait dû être préparée, selon eux, et en toute logique, par la commission des droits et libertés. Mais pendant que la séance peinait à commencer, entre les interventions intempestives des uns et des autres, en rapport avec l'organisation structurelle de la plénière, et la lecture du très long rapport de la commission, un immense brouhaha parvient jusqu'à l'hémicycle. Un jeune journaliste tunisien Adnène Chaouchi, correspondant de la radio internationale et de plusieurs médias étrangers, s'est fait agresser par les ligues de protection de la révolution, LPR, réunies devant l'Assemblée avec tambours et trompettes. L'objectif de cette démonstration de force était de se faire entendre en ce jour fatidique, et soutenir, via les formules musclées habituelles, le projet de loi. Cheveux défaits, vêtements déchirés et sa caméra, valant selon ses dires plusieurs milliers de dinars, cassée, le journaliste raconte son agression devant ses consœurs et confrères. Unis dans une solidarité corporative et une forte émotion qui peuvent se comprendre. Devant ces agressions qui se répètent, et dont ils font l'objet, les journalistes n'ont pas caché leur colère. Le meeting des LPR fut ainsi boycotté, en guise de protestation. Pendant ce temps, une altercation éclate dans le hall du palais de l'ANC entre Mongi Rahoui, constituant du Groupe démocratique, qui condamne les LPR et leurs méthodes, et Jamel Bou Ajeja, constituant nahdhaoui, qui les défend. Une deuxième violente dispute éclatera entre Mourad Amdouni et le même Bou Ajeja qui avait menacé physiquement son collègue. Bref, il a fallu bien du temps et plusieurs suspensions pour que la séance reprenne. Avant cela, Mehrezia Laâbidi a pris le temps de condamner fermement les agressions à l'encontre des journalistes, tout comme elle a réaffirmé la protection, physique si besoin, des élus du peuple. Dans le cœur du sujet Les interventions des constituants ont pu finalement démarrer. Et, sans surprise, la ligne de fracture était claire et profonde entre les deux bords. Ceux qui défendent la loi dite d'immunisation et la présentent comme une revendication pressante du peuple tunisien, et ceux qui la contestent avec virulence, parce que faisant office d'une punition collective. Les accusations se sont cordialement échangées entre ceux désignés comme porte-drapeau « des caciques de l'ancien régime, les bourreaux du peuple», et les porte-voix « des nouveaux gouvernants qui ont perpétué les pratiques d'antan». On fait appel aux exemples des pays de l'Europe de l'Est, tels que la Bulgarie qui a adopté une loi similaire en 1995. Pendant que la partie adverse relève les nominations dans les cabinets et les institutions de l'Etat desdites reliques de Ben Ali. On cite les versets du Coran, on fait appel aux dires du Prophète, on convoque la poésie, et on rappelle quelques proverbes célèbres. Et, entre harangues vociférantes et rédactions scolaires laborieusement lues, la journée est passée dans ce duel qui n'était que politique. Certains élus avaient rappelé, cependant, le processus de justice transitionnelle qui aurait dû être mis en place bien avant cette loi revancharde, discriminatoire, concoctée par une majorité relative. Pendant que les autres font valoir leur responsabilité vis-à-vis du peuple de prémunir une révolution encore fragile. La séance fut levée à 19h10, pour que le rendez-vous soit donné aujourd'hui, laissant derrière elle un goût amer. Le débat truffé d'accusations et de menaces à peine voilées dans ce qui ressemble fort à une campagne préélectorale ne pouvait en aucun cas rassurer.