Du 5 au 26 juillet, la plus importante manifestation théâtrale en Europe invite des représentants majeurs de la scène théâtrale africaine autour du premier artiste africain associé, le Congolais Dieudonné Niangouna. Déjà avant l'ouverture, vendredi dernier, beaucoup d'observateurs prédisaient une édition qui fera date. Au programme : une ouverture audacieuse avec des pièces courageuses, résolument tournées vers l'Afrique. Des propositions radicales cherchant leurs racines et leurs forces sur le continent noir. Un tournant susceptible de changer aussi la pensée occidentale. Souriant et presque détendu, c'est ainsi que Dieudonné Niangouna, le premier artiste africain associé dans l'histoire d'Avignon, s'est présenté vendredi midi dans la pittoresque cour du cloître Saint-Louis pour parler une dernière fois de sa conception du festival. Bizarrement, le metteur en scène congolais donnait l'impression d'avoir déjà accompli sa mission. Et en effet, avec Stanislas Nordey, l'autre artiste associé de cette édition, et les deux codirecteurs Vincent Baudriller et Hortense Archambault, ils ont déjà réussi à faire bouger les lignes. Après deux ans de voyages communs entre le Brazzaville familial et l'Afrique théâtrale de Niangouna, la France et l'Europe, la rencontre avec le public a, enfin, pu commencer. «La réflexion et l'amitié ont grandi entre nous quatre», remarque Vincent Baudriller et confie : «Aujourd'hui, il y a une urgence du dialogue entre ces deux mondes», «les relations entre les artistes africains et européens ont beaucoup changé». Niangouna parle d'«une expérience forte», Stanislas Nordey évoque avec émotion ce travail à quatre qui a donné vie à une communauté et à un esprit qui les dépasse largement : «Le partage, c'est la caractéristique de la génération d'aujourd'hui». Selon lui, nous vivons une époque où «tout le monde est à la recherche d'une communauté active». «Une vraie colère sur l'état du monde» Ce qui les a réunis à Avignon? «Une vraie colère sur l'état du monde et la force de se mettre debout». Ainsi, Dieudonné Niangouna, déjà metteur en scène de taille, se retrouve propulsé au rang de figure de proue d'une scène théâtrale africaine aussi bien francophone qu'anglophone et lusophone qui rentre en dialogue avec les scènes occidentales, d'égal à égal. Car hier, dimanche 7 juillet, Dieudonné Niangouna devait créer l'événement avec Shéda. Une pièce qui parle d'un pays nommé Nulle part et raconte «une histoire de grand-mère, sans début, ni fin», une fable où «des temps différents se basculent à l'intérieur de la pièce». Le tout se déroule à la mythique carrière de Boulbon, là où un certain Peter Brook —également après dix ans de préparation— avait marqué, en 1985, les esprits et l'histoire du théâtre. Son Mahabharata faisait entrer les mythes du sous-continent indien dans l'imaginaire et la culture de l'Occident. Et déjà, il y avait un Africain à l'œuvre, le comédien malien et burkinabè Sotigui Kouyaté incarnait le sage Bhisma. Quand Dieudonné Niangouna était jeune, son père, grand ami de Léopold Sédar Senghor et premier grammairien congolais, ramenait de ses voyages à Paris des cassettes vidéo des pièces de Peter Brook à la maison. Aujourd'hui, Dieudonné se prête à élargir la grammaire artistique par ses propres constructions, inventer sa propre langue qui l'habite depuis si longtemps : «J'avais l'image, les paysages, la pensée, mais je n'avais pas encore les mots», dit-il à propos du très long temps de maturation de Shéda.