Dans la deuxième édition d'Al Kalimat, Ness el fen a organisé, vendredi dernier, une cérémonie d'ouverture où les lectures à voix haute ont chevauché les littératures tunisienne, martiniquaise, palestinienne et française, et réussi à envoûter le public du Théâtre municipal. Cet évènement culturel a commencé son marathon des mots de Toulouse pour atterrir à Tunis, et devenir tunisifié avec Al Kalimat. La soirée a été animée par Fathi Haddaoui en présence du fondateur du marathon, Olivier Poivre-d'Arvor et de son frère Patrick, l'ex-présentateur vedette du journal de 20 heures de TF1. Et la cité de Tunis continue son bouillonnement, mais cette fois-ci, c'est le mot qui se donne en spectacle, qui s'entend, se chante, enchante, sensibilise et se meut de texte en texte, de pays en pays. Ce mouvement est synonyme de plusieurs valeurs que les écrivains et les artistes ont constamment protégées : briser les barrières géographiques en rejetant toute frontière humaine et ce par le biais du mot. Le mot est poétique, romanesque, chorégraphique et symbole de communication continue. Il libère le corps, le cœur et l'esprit de toute frustration et de tout accablement. Dans cette soirée, on a vu que le mot est suprême. En effet, le spectacle nous apprend que le texte est là. Explicitement, il est prononcé, rythmé, lu par les invités. Implicitement, il est un code à déchiffrer, particulièrement dans le décor, ce rouge bordeaux et cet ocre qui miment les couleurs sublimes du Théâtre municipal, les coussins et les fauteuils où les jetés sont imprimés de lettres arabesques de la calligraphie arabe, mettent en avant le livre. On le voit omniprésent, s'éclatant dans chaque fragment du décor de la scène du théâtre; cette scénographie nous installe dans une mise en scène de jeunes chorégraphes qui dansent avec des rubans noirs. Avec cette danse, on comprend que le mot libère le corps de toute ligature, quand le corps du texte poétique franchit la servitude et l'esclavage. C'est dans ce sens que la lecture du texte poétique d'Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal, par l'éminent acteur Jacques Martial, nous plonge dans les feuilles engagées du poète anticolonialiste. Le public a applaudi longuement la performance du comédien qui a ajouté au texte une verve et une grâce impressionnantes. Dans ce texte où le concept de la négritude attaque le racisme, le poète chante les oasis fraîches de la fraternité dans une terre dont la chair et le sang des corps torturés annoncent une terre fière, nommée : mon île non-clôture. La voix du comédien résonne dans le théâtre et montre la posture de l'homme révolté debout et libre. Cette posture nous rappelle la fameuse citation d'Albert Camus : «Il vaut mieux mourir debout que de vivre à genoux». Homme de parole et de littérature révoltées, Camus n'a jamais cessé d'inventer de nouveaux hommes : l'homme révolté, l'homme de l'absurde, l'homme de Sisyphe, l'homme des justes, mais ce soir, on a découvert l'homme de la reconnaissance à travers Le premier homme. En fait, Nicole Garcia, la comédienne et réalisatrice française, a lu des extraits de Lettres d'Albert Camus. Ces lettres appartiennent respectivement au maître et à son disciple Camus. Après avoir reçu le prix Nobel, à l'âge de 40 ans, Camus envoie une lettre d'amour et de tendresse à son maître, Monsieur Germain, son père spirituel le 19 novembre 1957. Celui-ci, qui ne lui restait pas beaucoup à vivre, a répondu à son élève, son cher petit Camus, le 30 avril 1959, en manifestant sa fierté. L'auteur qui adorait son maître a commencé un roman autobiographique dans lequel l'hommage est frappant. Mais l'accident mortel a empêché Camus d'achever son œuvre. Le mot s'inscrit dans la subversion quand le poème devient synonyme de reterritorialisation. Et là, on songe à notre grand Mahmoud Darwich. Dans ses textes sur le pain sacré de sa mère et sur le fusil du dominateur qui le sépare de sa bien-aimée Rita, lus par Marianne Catzaras, la photographe tuniso-grecque, le poète crie avec colère et rage : «nous sortirons du verbe... de vos canons». La voix féminine continue de retentir avec Mariem Ben Hassine, la présentatrice télé et radio. Sa lecture et le choix des poèmes de Nizar Kabbani accentuent la dimension symbolique de la figure femme-patrie tout en révélant son engagement pour la cause arabe. Côté poètes tunisiens, on a goûté à la lecture de Moncef Louhaïbi qui lit, lui-même, son poème original Grain de blé et aux poèmes de Sghaïer Ouled Ahmed lus par Fathi Heddaoui qui n'a pas pu s'empêcher de dégager une touche humoristique en intégrant un poème célèbre de Omar Ibn Abi Rabiâ qu'une bonne partie de l'assistance a accompagné dans sa lecture. Dans cette salle où poésie, danse et théâtre deviennent des mots à lire, à délier sur la scène du texte, afin d'atteindre le chant et la haute voix du cœur, et ce, grâce au verbe humain libre qui tisse une patrie colorée réclamant la dignité, la liberté et la fraternité. Aimé Césaire n'a-t-il pas dit que la carte du printemps est toujours à refaire?