Par Khaled Tebourbi Un tour à travers les cafés de la ville ce matin du samedi 14 septembre : que disent les Tunisiens? Des paroles simples de colère et d'écœurement. Plus aucune finasserie, plus aucun doute à propos du gouvernement provisoire auquel ils ont confié le pays. «Une gent décidée à balayer tout devant elle». C'est ce que l'on entendait partout. Et plus seulement en fermant l'œil sur «Ansar Echariaa» et lesdites «Ligues de protection de la révolution», plus seulement «en gardant le secret» sur les crimes politiques et les dossiers de corruption, mais, d'ores et déjà, en s'employant «à découvert» à faire arrêter arbitrairement des journalistes et à museler des voix. La transition vers l'Etat de droit et la démocratie se mue, ni plus ni moins, en une dictature de fait. C'est ce que disent les Tunisiens. Ils le disent dans les cercles de cafés, mais il est clair qu'ils n'y peuvent rien. Leur colère est vaine. Et leur écœurement n'est «qu'état d'âme». Un système oppressif s'est déjà mis en place, par étapes progressives, accaparant d'abord la décision constitutionnelle, puis la majorité de l'ANC, puis les pouvoirs de gouvernement, s'appropriant ensuite milices et police, contrôlant enfin toute «une filière» de justice. L'étau est tel que les faucons d'Ennahdha ne craignent plus d'annoncer ce qui va suivre. Le sieur Abdeltif Mekki avertissait sans «ambages» : «Nous allons répondre aux opposants politiques par la loi (!?)». Quelles lois, M. Mekki? Les lois caduques de Ben Ali dont se sert le ministère public pour poursuivre Tahar Ben Hassine de «complot contre la sûreté de l'Etat», et jeter en prison Mourad Meherzi et Zied El Hani? Ou les lois de la révolution de la liberté et de la dignité qui auraient, au contraire, envoyé derrière les barreaux, ceux-là mêmes qui s'appliquent aujourd'hui à faire un trait dessus? Plus de doutes, plus de finasseries, on sait maintenant qui fait quoi, avec quelles intentions et dans quels buts? Mais on sait aussi que dénoncer, hausser le ton ou pointer les coupables du doigt ne mène plus nulle part. On peut, en revanche, se concéder des accusations amères à l'adresse de ceux qui, par leurs alliances, leurs complaisances ou leur silence auront ô combien contribué à nous entraîner là où l'on est. Les deux partis dits démocrates qui ont rallié la Troïka, tout particulièrement, le CPR de M. Moncef Marzouki et Ettakatol de M. Mustapha Ben Jaâfar, ces deux partis ont commencé par fausser compagnie à leurs électeurs. Ils étaient censés faire contrepoids au projet islamiste. C'était le contenu «ferme» de leur mandat. Ils se sont aussitôt transformés en formations allégeantes. Pratiquement sous les ordres. Pourquoi ? Moultes explications ont été avancées. Toutes vite réfutées. N'en est restée qu'une : s'arroger un mini-fauteuil sous «le parapluie» d'Ennahdha. Rien que cela ! On a fait fi du militantisme de l'époque de Ben Ali. On a éjecté les valeurs et les principes de liberté, de modernité et de démocratie. Sous la bannière du protecteur nahdhaoui, des postes à l'abri du pouvoir sont promis, éventuellement garantis. Mais cela n'est rien comparé à ce que ces deux partis, leurs chefs de file en tête, observent à l'heure actuelle un mutisme absolu devant les violations commises par le gouvernement dont ils font partie. Les masques tombent définitivement. On y est, on y reste. Qu'importent la confiscation du pouvoir, les dossiers compromettants, qu'importe la dérive religieuse, qu'importent les arrestations et le musellement des anciens compagnons de route, M. Ben Jaâfar, M. Marzouki, leur poignée de ministres foncent droit dans la collusion. En dépit des saccages et des ravages qui menacent à vue. En dépit des réalités et de la vérité. Comment donc trouvent-ils encore le sommeil? S'interrogeait Tahar Ben Hassine, l'autre soir. Ils nous le diront demain, si Tahar, quand tout ce «château de cartes» aura tôt fini de s'effondrer.