À trente-six ans, il est en train de se faire un nom parmi les rares auteurs de thrillers africains à écrire depuis leurs propres pays. Ses romans noirs viennent tout droit de Libreville et ils ont, d'abord, été reconnus chez lui. L'auteur a, en effet, reçu en 2010 le Prix du roman gabonais pour La Vie est un sale boulot (Jigal, Marseille, 2009). Il a publié coup sur coup, en 2012 et 2013, La Bouche qui mange ne parle pas et Le Chasseur de lucioles. Des polars remarqués en France, et qui ont valu à Janis Otsiemi d'être décrit par le quotidien français Libération comme « l'écrivain qui fait des bébés à la langue française ». Loin de démentir, Otsiemi explique : « La langue française n'est pas ma langue maternelle et elle me parvient souvent avec son histoire, ses senteurs gauloises qui ne sont pas les miennes. Alors, je suis contraint de la brutaliser un peu pour la posséder, peut-être aussi pour prendre ma revanche sur le colonisateur, pourquoi pas ». Il croque et il truffe... Il croque les travers de sa propre société et truffe ses intrigues d'expressions du cru. Du langage parlé et du français « façon » qui font tout le sel de sa prose. Argot, proverbes et néologismes piquants comme du piment émaillent le récit. Autre extrait : « Le Labyrinthe était une ancienne habitation qui avait été transformée en motel. Le propriétaire devait être un ancien ponte de la République au tombage (note : avoir perdu son prestige ou être tombé en disgrâce) vu le côté coquet de la piaule. Le commerce de la cuisse tarifée faisait florès dans le pays. En quelques années, des garceries avaient poussé çà et là comme des champignons, à croire que baiser était devenu le sport favori des Gabonais. Nul ne l'ignorait. Les Gabonais étaient passionnés de femmes. Et bon nombre d'entre eux entretenaient des deuxièmes bureaux (note : femmes entretenues par des hommes mariés). » Otsiemi, qui affirme se retenir et s'autocensurer, frappe fort. Ses intrigues répondent aux codes du genre. Dans Le Chasseur de lucioles, le lecteur est promené entre le braquage d'un fourgon de transport de fonds et des meurtres en série de prostituées. Mais la verve de l'auteur embarque surtout pour une virée truculente dans les bas-fonds de Libreville. Une capitale africaine connue pour ses pétrodollars, ses élections contestées, les biens mal acquis et autres scandales de la Françafrique. Où l'on apprend que « Bongo » n'est pas seulement le patronyme des deux présidents, père et fils, qui dirigent le pays depuis 1967, mais aussi le petit nom qu'on donne à l'argent. Principal sujet de préoccupation de tous les frappés du « mal de poche » et autres malfrats qui « n'ont pas besoin d'avoir un certif pour apprendre à compter le pognon », selon l'auteur. Autodidacte et fils d'ouvrier Janis Otsiemi, lui, ne vit pas de sa plume. Cet autodidacte, fils d'ouvrier dans le bâtiment et d'une marchande de manioc, n'a pas fait d'études supérieures. Il a grandi aux Etats-Unis d'Abéké, un bidonville de la capitale qui lui fournit encore beaucoup de « matière ». Il travaille le jour comme assistant aux ressources humaines dans une compagnie aérienne et écrit la nuit. Il a eu du mal à avoir un visa pour la France en mars, pour se rendre au festival Etonnants voyageurs de Saint-Malo. Les services consulaires français à Libreville ont d'abord douté de la volonté de ce père de famille de revenir un jour au Gabon. Pourtant, Otsiemi appartient à cette génération de jeunes Africains qui ne se voient pas d'avenir ailleurs que dans leurs pays, déterminés à les voir enfin changer.