Par Bady Ben Naceur Les opinions humaines sont discordantes, en ces temps d'oppressions, sournoises ou déclarées. De plus en plus opposées. Ce sont des manières de voir, de penser partagées entre les croyances rituelles ou faussement religieuses, et les idées philosophiques et politiques modernes. Celles de la laïcité, de la citoyenneté, de la démocratie. Celles-là mêmes qui furent de tout temps bannies, étouffées, meurtries, par toutes sortes d'oppressions, de dominations, de jougs. En un mot : par la dictature. Cette même dictature dénoncée par les uns et les autres, ensemble, et qui faisaient d'ailleurs cause commune. Celle de la résistance à l'oppression, ce droit universel fondamental et inaliénable de la citoyenneté. Et, maintenant, c'est-à-dire près de trois ans après le 14 janvier 2011, voici que l'un des clans de ces anciens opprimés (qui faisaient donc cause commune pour retrouver la liberté pleine et entière, de penser), est devenu non seulement opiniâtre, c'est-à-dire entêté, obstiné, irréductible et haineux mais, aussi et surtout, oppresseur farouche, intraitable à son tour et, même plus dictatorial que ne le fut le dictateur. A telle enseigne qu'il a fini par opter pour un brusque changement d'opinion, un revirement, une volte-face, face à l'autre clan, fût-il, ce dernier, rangé dans celui de l'opposition, mais ne s'élevant jamais au rang «d'opprimeur». Je relis, dans un ancien numéro, un hors-série du magazine Le point consacré à «l'esprit des civilisations» et notamment à l'Inde, un texte religieux du Shankara, de Brahma Bhâshya, consacré, justement, aux opinions. Il s'agit d'un texte moderne dans toute la splendeur de ce vocable. J'ai choisi, pour ce faire, trois passages intéressants quant à la formulation de la notion d'«opinion» et de ses répercussions sur le mode de vie et d'expression des sociétés passées et même actuelles. Dans la première formulation, l'auteur présente les inférences (raisonnements) autrement, afin qu'elles soient exemptes du défaut d'être mal fondées. Ainsi, à propos des raisonnements dans les opinions, il déclare ceci: «On ne peut pas dire : ‘‘Tout raisonnement manque de fondement'', car c'est par le raisonnement qu'on établit le manque de fondement des raisonnements». Et «si tous les raisonnements étaient mal fondés, toute l'activité humaine cesserait». Dans la seconde formulation, il déclare : «Quand on voit la révélation (idem pour la Révolution (tunisienne) se contredire, on établit le sens correct, en écartant le sens apparent». Troisième formulation : «C'est en rejetant les raisonnements vicieux (pensons à ceux qui ont été pleins d'outrages à la Tunisie : à sa révolution mais, aussi, à son passé, son patrimoine , ses rites et ses efforts de modernité) que l'on peut en établir d'autres qui sont dénués de vices. Rien ne prouve que si l'aîné est un imbécile [son cadet] (la jeunesse tunisienne, à l'origine de ce «printemps arabe»), doit aussi être un imbécile !» On s'attend d'ailleurs à ce que cette jeunesse cultivée, citoyenne du monde entier, pleine d'énergie, et de vigueur recommence sa révolution avec, cette fois-ci, sa totale insoumission et une volonté d'insurrection totale, si rien de bon n'apparaît chez les détenteurs du pouvoir actuel. In fine, la Révolution formulée (comme la Révélation telle que prônée dans ce texte ancien), par nos théoriciens, hommes politiques, intellectuels, artistes et journalistes démocrates, procède d'une «connaissance droite». Cette «connaissance droite» que les nouveaux pharisiens de la place, les faux dévots, tentent vainement de casser à travers de fausses opinions et des actes d'oppression de plus en plus manifestes, ne peut que réussir, à plus ou moins long terme. Ainsi, à propos de ces deux «clans», nous avons eu le loisir d'observer que dans celui des démocrates «nulle discordance d'opinion n'est apparue — hormis celle du CPR et d'Ettakatol, au sujet de cette «connaissance droite», alors que celui de la soi-disant «légitimité» n'a continué de formuler ses opinions que par le seul raisonnement tronqué, se contredisant tout le temps, celui-ci devenant ainsi, incompatible avec l'esprit révolutionnaire qui n'a pas dit son dernier mot. Qui n'a pas dit son dernier mot, parce que, comme un bulldozer, il bouscule, il bascule les opinions humaines discordantes qui n'ont pas su «rassembler dans un seul lieu et au même moment, tous les tenants passés, futurs et présents du raisonnement pour que soit reconnue comme connaissance droite, telle doctrine». Qu'il s'agisse de la «révélation» comme le souligne Brahma-Sûtra-Bhâshya ou de la révolution (tunisienne) où «le contenu est uniforme et portant sur un seul objet». Qu'on se le dise...