Partiront, partiront pas... Cinquante quatre pèlerins tunisiens détenteurs de passeports gambiens sont toujours coincés à l'aéroport. Ils refusent de quitter la salle d'embarquement, surtout que le dernier départ pour les Lieux Saints est prévu pour aujourd'hui. Les cœurs battent la chamade «Il n'y a donc plus de compassion dans ce pays ? Cela fait plusieurs jours que je suis là. Je ne supporte plus le froid de ce hall. Je suis malade», se plaint Assia Kaied, 73 ans. La vieille femme a été empêchée de partir pour Médine, jeudi dernier. Elle ne veut pas rentrer chez elle par peur des railleries dans son village, à Korba. Cela fait trois jours qu'elle refuse de manger. Cinquante trois autres pèlerins sont dans la même situation qu'elle. Tous ont eu affaire à Maher Hamdoun, un rabatteur qui s'est spécialisé dans l'organisation des pèlerinages. Sa botte secrète : fournir des visas aux candidats malheureux au pèlerinage. Sa technique : exploiter le surplus des quotas des pays pauvres. Dans le cas d'espèce, cet intermédiaire a fourni des passeports gambiens comportant des visas de pèlerinage délivrés, semble-t-il, par l'ambassade saoudienne en Gambie, en contrepartie de 8.000 DT par personne. Dans ses filets, on compte plus de cinquante candidats niais. Il n'empêche, du point de vue des pèlerins et de leurs familles, cette procédure pour se rendre à La Mecque est tout à fait légale. « Chaque année des centaines de candidats tunisiens sont privés du pèlerinage parce que les places sont limitées. Dans d'autres pays, au contraire, la demande est inférieure à l'offre. En Gambie par exemple, seuls 300 visas ont été délivrés par les Gambiens sur les 1.355 disponibles», explique Adel, le fils de Assia. Maher Hamdoun est allé en Gambie et y a passé 20 jours, selon son frère Faker, afin d'obtenir les passeports et les visas. Il a également réussi à obtenir la nationalité gambienne aux 54 pèlerins. Plusieurs témoins affirment ne pas avoir eu à fournir des papiers complémentaires ou à remplir des formulaires spécifiques pour avoir la nationalité. Fatma Hamdoun, la mère de Maher, assure que c'est la troisième fois que son fils organise un pèlerinage de cette façon. «L'année dernière, j'ai vendu mon or pour y aller avec lui. Tout s'était bien passé. La seule chose différente cette année, Maher a choisi de ne pas faire escale en Turquie et de prendre un vol direct pour l'Arabie Saoudite », dit-elle. « Le chef d'agence lui avait assuré que c'était possible de le faire avec les passeports gambiens. Il a opté pour cette solution dans l'optique d'éviter aux personnes âgées qui allaient l'accompagner le tracas du parcours », explique Faker. Voyage illégal Contacté par La Presse, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, Mohamed Ali Laroui, a affirmé que les Tunisiens n'avaient pas le droit de voyager en Arabie Saoudite avec un passeport gambien. «Ils n'ont pas la nationalité gambienne. Le visa pour l'Arabie Saoudite doit être délivré sur le passeport tunisien», a-t-il déclaré. Installée sur un matelas dans le hall de l'aéroport, à côté de sa belle-fille, Fatma Hamdoun ne sait plus à quel saint se vouer. Elle s'inquiète pour son fils, dont elle n'a plus de nouvelles depuis que la police l'a emmené en compagnie de Ameur Hammami et Walid H'mida, les deux coorganisateurs du voyage. Quant aux malheureux pèlerins, ils ont choisi de rester à l'aéroport au niveau de la zone internationale. Ils passent leurs nuits sur des chaises et partagent ensemble des repas préparés par leurs familles. Une banderole a été accrochée dans le hall avec comme inscription : «Nous allons manifester jusqu'à ce qu'on parte pour le hadj». Les pèlerins sont soutenus par leurs proches qui multiplient les initiatives pour essayer de débloquer la situation. Ainsi, ils ont engagé trois avocats et sollicité l'aide du parti au pouvoir, Ennahdha, des députés de l'ANC et du Premier ministère. Maître Taieb Bessadok, l'un des avocats des pèlerins en sit-in, soutient que les passeports et visas des pèlerins sont en règle. Il admet cependant qu'ils auraient pu être délivrés dans des conditions inhabituelles en Gambie. «Le temps que les autorités tunisiennes s'assurent de l'authenticité des papiers, les pèlerins risquent de rater le Hadj», affirme l'avocat. Hier soir, les avocats ont été entendus par le juge d'instruction du 17e bureau au Tribunal de première instance de Tunis. D'après l'avocat, les pèlerins seront fixés sur leur sort aujourd'hui. Incidents multiples Lundi dernier, un autre incident impliquant des pèlerins a eu lieu à l'aéroport de Tunis. Des pèlerins détenant un passeport tunisien avec un visa pour l'Arabie Saoudite délivré en Mauritanie ont été empêchés de voyager. Hier, 99 pèlerins originaires de Sfax ont rencontré le même problème. D'après Ali Lafi, conseiller politique et en communication au ministère des Affaires religieuses, il y a en plus près d'une centaine d'autres Tunisiens bloqués à l'aéroport de Djedda, également détenteurs de visas obtenus en Mauritanie. Les pèlerins avaient eu recours à des agences de voyages basées en Tunisie ou à l'étranger, notamment en Allemagne et en Suisse, pour organiser leur voyage. « Cette année, le contrôle au niveau des frontières a été renforcé par les autorités saoudiennes, ce qui explique pourquoi des cas de fraude ont été repérés en plus grand nombre », explique Lafi. «La question relève de la sûreté et de la diplomatie, mais le ministère assumera ses responsabilités et essayera de trouver des solutions», ajoute-t-il.