A grands traits, hier encore, les deux formes de légitimité se sont affrontées dans l'arène de l'hémicycle. Hier encore, c'est la supériorité numérique qui a fini par l'emporter Avec un retard conséquent de près de deux heures, a démarré hier la plénière au Bardo. Et pour ne pas déroger à la règle, la séance était désordonnée, sans cesse interrompue, un tantinet agressive. La volonté manifeste de la présidente Mehrezia Laâbidi de ramener tout le monde vers le consensus n'a pas trouvé preneur. Au bout d'une demi-heure à peine, des constituants de l'opposition se sont retirés d'une réunion qu'ils estiment biaisée dès le départ. La séance devait être consacrée au vote des amendements du règlement intérieur qui régit l'ANC pour l'harmoniser avec les dispositions de la feuille de route émanant du Dialogue national. Et c'est justement là que le bât blesse. Puisqu'un collectif non négligeable de partis politiques siégeant à l'Assemblée refuse le principe même des consultations hors hémicycle, et rejette dos à dos les partenaires du dialogue et ses recommandations. Les députés de Wafa, du CPR et de quelques autres groupes satellites refusent net — et ne s'en cachent pas — de placer la légitimité consensuelle au-dessus de la légitimité électorale, dont ils se prévalent. Résultat, la vieille chanson «des députés du peuple, élus par sa volonté et de l'ANC autosouveraine» a été chantée en chœur, hier encore. Et, chose curieuse, par les constituants du mouvement Ennahdha, également, dont les chefs participent plus ou moins activement au dialogue. Une salle égarée Quant aux nouveaux articles proposés, il y avait de quoi perdre son latin. Puisqu'à peine l'amendement d'un article est débattu et voté qu'un autre amendement qui supprime le précédent est soumis par un autre groupe, pour revenir théoriquement à l'article dans sa formulation initiale. Un vrai casse-tête chinois, au point que la présidente elle-même, essayant tant bien que mal d'expliquer cette valse juridique face à une salle égarée, interpelle de temps à autre des constituants juristes pour obtenir à la va-vite une consultation et tirer au clair cet imbroglio juridico-politique. Au-delà des divergences politiques qui guident ces manœuvres exposées en live au peuple tunisien, un manque de sérieux manifeste au niveau de la préparation des textes de loi est à déplorer. C'est tout de même préoccupant que les constituants eux-mêmes se perdent dans les propositions et contre-propositions des articles et interrompent autant de fois la séance, qui pour demander une explication, qui une pause de concertation, qui un report pour revenir à son parti ! A grands traits, hier encore, les deux formes de légitimité se sont affrontées dans l'arène de l'hémicycle. Hier encore, c'est la supériorité numérique qui a fini par l'emporter. Les articles ont été amendés selon la volonté et les formulations proposées par la majorité au pouvoir et ses partisans. Les députés de l'opposition, ceux qui étaient en retrait précisément, y ont vu des machinations visant à les exclure du travail parlementaire et non point des tentatives d'accélération du processus transitoire, d'où le retrait. Après leur départ, Monia Brahim, constituante du Mouvement Ennahdha, a critiqué durement cette action, la qualifiant de pur chantage : «Vous voulez nous imposer votre diktat. Ou bien on accepte vos formulations, ou vous vous retirez», en ajoutant de manière entendue : «On se comprend trop bien». Quoi qu'il en soit, du brouhaha constitutionnel, une vérité se dégage : l'Assemblée, avec sa configuration actuelle, représente un obstacle indépassable à la mise en œuvre des décisions du Dialogue national, sauf instructions. Et, manifestement, les consignes sont plutôt données pour rappeler au bon souvenir que le mouvement Ennahdha reste majoritaire et détient le véritable pouvoir décisionnel, même pour enlever une virgule d'un article, ou la laisser.