L'ANC a inauguré hier une nouvelle procédure de vote, ou en tout cas inhabituelle, selon laquelle le principe même d'amender ou pas, est soumis au vote. Si le principe d'amender est accepté, en clair s'il bénéficie d'un vote favorable, l'hémicycle débat ensuite du fond, du texte de l'amendement, un deuxième vote est alors effectué. Si le principe de l'amendement est rejeté par le vote, le contenu n'est pas discuté. Cette procédure a pour conséquence mécanique, si l'on tient compte de la composition de la Constituante, le rejet automatique de la majorité des amendements. Cette procédure ne bénéficiant pas de l'accord principalement de l'opposition a soulevé cris et gesticulations, et au final, suspension de séance de 10 mn. En outre, si un martien venait à s'installer dans les travées de l'ANC, il croirait que c'est un aréopage qui a tout son temps et qu'il n'y a pas urgence. Pour 36 articles que comprend le projet de loi organique portant sur la création de l'instance des élections, près de 350 amendements étaient proposés. Hier, la séance a été majoritairement consacrée au choix du nom de l'instance : haute ou pas, provisoire ou pas, et dans l'adjectif provisoire, il y aurait deux déclinaisons linguistiques : «Moakata ou Waktia». Nationale ou pas. Sociale ou pas. Indépendante ou pas. Ceci ou cela. Ici ou là. On en est arrivé à subir des cours de grammaire et de ponctuation; la virgule est-elle requise ou pas, la conjonction de coordination (Harf atf) est-elle nécessaire ou pas ! «L'Isie ne sera pas opérationnelle avant la mi-janvier» En suivant la séance qui s'est allongée jusqu'à près de 20h00, une désagréable pesanteur vous assaille, on a comme l'impression que le travail n'a pas été «préparé» en commissions. Le même martien en visite chez nous remarquerait aussi cette volonté perceptible chez certains élus du peuple d'être et surtout de paraître à travers des propositions futiles sans conséquence aucune, ni sur le fond ni sur la forme. Le président Ben Jaâfar avait du mal à faire vite, à faire plaisir aux uns et aux autres, et à faire régner un semblant de discipline. Dès que la séance tant attendue a démarré, on a commencé avec les problèmes organisationnels, d'ego, et accessoirement de fond. Résultat, le président, même doté de cette attribution «supra-constitutionnelle» de couper le micro, paraissait dépassé. «Ils bloqueront au premier article, vous verrez», lâche ironique un responsable du Bardo. Il ne croyait pas si bien dire. La députée Rim Mahjoub d'El Joumhouri, déclare à La Presse que selon les simulations de l'échéancier qui a été fait, l'Isie ne sera pas opérationnelle, dans le meilleur des cas, avant la mi-janvier. A cela s'ajoute cet élément important dont il faut tenir compte, c'est qu'on en est encore au déblayage. Les vrais risques de blocage surgiront au moment du débat sur le choix des membres, les attributions de l'instance, l'exclusion de certains corps de métiers, voire sur le respect de la parité. A ce titre, Hichem Hosni, du mouvement populaire, précise, conciliant, qu'il y a une volonté de recherche de consensus, et que compte tenu de l'analogie des amendements, les 350 seraient réduits à 80, espère-t-il. La séance a été suspendue suite à la proposition de Selma Baccar, constituante d'El Massar, pour discussion dit-elle. Avant cela, l'hémicycle était devenu incontrôlable, fâcheries et chamailleries autour du vote du principe de l'amendement. La Presse a donné la parole à un député qui s'est dit lésé par ce mode de fonctionnement et à un spécialiste du droit constitutionnel. Selim Ben Abdesselem, indépendant : «Le vote sur le principe de l'amendement équivaut à un refus du débat» Le règlement intérieur de l'Assemblée dit que, c'est vrai, on vote deux fois d'abord sur le principe même de l'amendement et sur l'amendement lui-même. Mais il y a eu un consensus autour de cela, et l'assemblée a toujours fonctionné selon le mode que chaque amendement est d'abord discuté ensuite voté. Il se trouve que le vote sur le principe de l'amendement équivaut à un refus du débat. Aujourd'hui, il y a eu un cas d'école. Le président de l'Assemblée, a décidé, avec paraît-il les présidents de groupes, de ne pas accepter systématiquement le principe de l'amendement pour ouvrir le débat. L'amendement qui a été présenté par Tahar Hmila qui proposait que seuls puissent être membres de la future Isie les personnes résidentes en Tunisie ne possédant que la nationalité tunisienne, est discriminatoire, contre lequel j'allais argumenter. Parallèlement, je défends le droit de mon collègue de défendre sa proposition et mon droit de m'y opposer. Or il n'y a pas eu débat sur l'amendement avant d'être rejeté. Fadhel Moussa, El Massar : «Ce texte est aussi important que la Constitution, tout l'avenir des élections en dépend» C'est une question de procédures : le règlement intérieur prévoit de poser la question aux députés : est-ce que vous êtes pour examiner cette proposition ou contre ? Et on passe au vote à la majorité absolue des présents. Et si on n'obtient pas cette majorité ? Aucun amendement ne risque d'être examiné dans ce cas. Donc les députés disent que c'est un moyen de conserver le dispositif des articles tel qu'il est. Moi je dis qu'il faut laisser la possibilité aux députés de pouvoir présenter leurs amendements, au moins de les présenter et après on passe au vote. Il faudrait prendre le temps d'écouter tous les points de vue. D'autant plus que ce texte est aussi important que la Constitution et que tout l'avenir des élections en dépend. Mais comme c'est une question de majorité, sur le principe on reste dans le dispositif qui est présenté. Il faudra régler ce problème d'une manière consensuelle. Sinon cela risque de donner une mauvaise ambiance à tel point que certains articles risquent de ne pas passer au vote parce qu'ils n'ont pas obtenu la majorité absolue, nécessaire, rien que par dépit. Parce que des propositions faites par d'autres députés n'ont même pas été examinées. A l'heure où nous mettions sous presse, deux articles de l'avant-projet avaient été adoptés, le premier portant sur la création de l'Isie; instance indépendante, bénéficiant de la personnalité morale et financière, et l'article deux portant sur les attributions de l'Isie de garantir des élections démocratiques et transparentes. Maigre butin d'une longue journée de labeur et de mauvaise humeur. Tout porte à croire que le bout du tunnel semble encore très loin. Nida Tounès ne compte pas constituer un groupe parlementaire dans l'immédiat, apprend-on de source sûre. Avec le ralliement de Rabiaâ Najlaoui, députée de Kasserine, ce jeune parti compte désormais dans ses rangs dix députés, ce qui est le seuil nécessaire à la constitution d'un groupe à l'ANC. Dans les travées de l'Assemblée, on spécule sur de nouveaux ralliements à ce parti, décidément magnétique.