Un film fondateur, subversif et à l'encontre de la manière didactique univoque. La session des JTC de cette année a proposé, parallèlement aux représentations théâtrales et aux colloques, du théâtre à l'écran. Cette idée originale est semble-t-il une première dans les Journées Théâtrales de Carthage. Ainsi, le choix des films est enchanteur. Celui-ci permet alors de découvrir et repérer des documentaires sur les parcours des hommes de théâtre, sur leurs expériences, et sur leur théâtre comme vision du monde et expression de vies, mais aussi sur des pièces de théâtre mythiques. Le cinéma s'inspire grâce aux montages d'images de ce flux extraordinaire de mouvements qu'est l'expression théâtrale. Le 27 novembre, a eu lieu justement une projection à la maison de la culture Ibn Khaldoun. Ce film qui est représenté sous forme de pièce ancienne pour marionnettes, par le poète asiatique Hsi-Xhou, et jouée par des acteurs, est un film fondateur, subversif et est à l'encontre de la manière didactique univoque. La mise en scène de cette pièce revient à l'éminente Ariane Mnouchkine de la troupe Théâtre de Soleil, et le texte est écrit par l'essayiste, critique littéraire, auteure, amie de Jacques Derrida : Hélène Cixous. Cette œuvre a été créée à la Cartoucherie en 1999. Ce spectacle qui est un grand hommage au labeur des marionnettistes, au théâtre, au labeur du comédien, est dédié à Paul Puaux, ancien directeur du festival d'Avignon, militant et très engagé dans la sauvegarde du théâtre populaire et Jacques Lecoq qui fut le maître d'Ariane Mnouchkine: un très grand homme de théâtre, très connu par son approche pédagogique principalement sur le mime dramatique, le clown, le masque et le bouffon. Cette création porte une double obsession : celle du comédien et celle de la condition humaine, la réflexion et la remise en question de la «comédie humaine», ses dessous et ses sinuosités. Le tambour cosmique L'histoire qui nous est racontée met en scène un évènement survenu en Chine : une inondation ravageuse. Le pays est protégé par les digues mais le danger est là. Une guerre civile s'est déclenchée et a conduit le pays dans un état apocalyptique où tout le monde s'entretue. Dans le film et dans cette création théâtrale, le tambour revêt une dimension symbolique. En effet, représentant le Cosmos, et les règles qui le régissent, il fait l'objet de la quête de soi, de l'Absolu et du divin. Le tambour est aussi ce battement sonore qui évoque le tonnerre, la guerre et la foudre. Il prévoit et annonce le mauvais présage des pouvoirs et des forces. Ce battement-là est également profondément humain, il argue la pulsation, la palpitation et la vibration; il nous inscrit dans le battement du cœur qui épouse le battement et le mouvement du monde grâce au choix de l'atemporalité et l'imprécision mais aussi à la poétisation de l'espace. Le tambour vu, raconté, lu et revu dans toute sa sacralité, est ici le médiateur entre le monde matériel et le spirituel, entre le visible et l'invisible.Il est revisité dans le film avec cette caractéristique due grâce aux transes qu'il peut provoquer et les états qu'on peut vivre à savoir l'élévation, l'extase contre la corruption, l'égoïsme, et l'arrogance de l'être mortel. Le théâtre joué autrement Tout est marionnette dans cette œuvre. On voit le marionnettiste, la machine théâtrale, qui régit, agit, effleure les mouvements les plus légers, les plus fins et les plus émotionnels avec comme toiles de fond : la danse et la pantomime. La mise en obéissance du corps de la marionnette par rapport à son créateur, le marionnettiste, est très importante dans la mesure où la sublimation et la fabulation sont extraordinaires. Il ne s'agit pas de corps cadavérique machiné par l'autre mais plutôt d'une non-autorité de la marionnette. Elle n'est pas le comédien, elle n'est pas cet être houleux. Cependant, devant ce corps inerte de par l'inexpressivité du visage, les émotions sont là, elles transpercent les fils tissés de la marionnette et pénètrent le tambour des cœurs. L'acteur est double, dédoublé, pluralisé; les notions de jeu, d'illusion et tout le jargon du théâtre deviennent insignifiantes, car elles entrent dans le tourbillon de la vie, dans le rythme de son accordéon. En effet, à travers ces marionnettes, on a pu discerner que la voix est l'unique vibration sublimatoire; en fait, le corps du comédien est collé à celui de la marionnette. Tandis que la voix est externe, elle vient d'ailleurs, d'un autre corps éloigné qui réclame même du dehors le battement d'une douleur qui passera par deux, trois personnes ou même plus, c'est justement pour dire que la douleur ne pourra jamais être « marionnetisée ». Le film qui prend en charge un théâtre de vie, contre le vide et l'instrumentalisation du corps, contre le néant et l'absurde, trace et signe que le théâtre « a charge de représenter les mouvements de l'âme, de l'esprit, du monde, de l'histoire » comme l'a toujours pensé et vécu Ariane Mnouchkine. Mais cette création problématise à notre époque une interrogation qui nous amarre à une digue virtuelle, ne sommes-nous pas, nous aussi, des marionnettes, ici-bas?