La politique ne saurait se nourrir de mauvaise foi. Elle est basée sur des règles du jeu, un contrat social, des protocoles clairement définis. Cela ne semble guère être le cas sous nos cieux Après des tractations laborieuses et où on a frisé le pire, quatre mois durant, on a fini par dénicher le nouveau chef du gouvernement, M. Mehdi Jomâa. Et on a poussé un ouf de soulagement. Les urgences sont telles qu'on ne saurait y rajouter l'attentisme. L'économie dégringole, les prix des denrées de base augmentent d'une manière vertigineuse, l'atmosphère sociale est morose. L'insécurité règne, le terrorisme frappe douloureusement et menace de frapper plus tragiquement encore. Or, qu'en est-il, plus d'une semaine après l'accord du dernier quart d'heure chapeauté par le Quartet des bons offices ? Le flou et les tergiversations l'emportent. Selon la fameuse feuille de route pour la sortie de crise, M. Mehdi Jomâa devait annoncer la composition de son gouvernement d'indépendants en une semaine. On en est encore hélas à la case départ. C'est-à-dire à la case louvoiements certains et échec escompté. Caudillos de la désespérance Des voix s'élèvent dans les rangs de la majorité sortante pour prôner que les ministres de la Troïka se maintiennent en poste. M. Moncef Ben Salem, ministre de l'Enseignement supérieur, a carrément allégué que le changement des ministres aggraverait la situation. De son côté, M. Ameur Laârayedh, haut dirigeant du mouvement Ennahdha, a prétendu que le gouvernement de la Troïka était composé essentiellement de ministres indépendants ! La volonté de jouer les prolongations est manifeste. La fascination du pouvoir atteint des limites qui frisent le pathétique, voire le pathologique. Les calculs de boutiquiers sont légion. Les mauvaises bannières aussi. Ainsi assiste-t-on depuis quelque temps à de véritables manœuvres et exercices contorsionnistes en vue de racoler le ban et l'arrière-ban de l'extrême droite religieuse. Des membres de la Troïka chassent tout simplement sur le terrain des prédicateurs de la haine, populistes fascisants et autres ligues dites de protection de la révolution. Ayant perdu énormément côté légitimité, ils s'avisent de jouer les caudillos de la désespérance. Ceci côté cour. Côté jardin, on n'en finit guère avec les manœuvres dilatoires. Il faut dire que le profil de l'opposition n'est guère en reste. Elle avance en rangs dispersés et divisés. Paradoxalement, l'opposition atteste de sérieuses lézardes et craquelures internes au moment même où la crise gouvernementale atteint son paroxysme. Et cela fait le lit de la majorité sortante, qui en profite pour vouloir perdurer. Qu'on en juge. Après conciliabules, Nida Tounès soutient le nouveau chef du gouvernement, quoique du bout des lèvres. Il est cependant en froid avec Al-Joumhouri qui, lui, ne cautionne guère le nouveau chef du gouvernement, tout en ayant perdu l'une de ses parties intégrantes, Afek Tounès. De son côté, le Front populaire a décidé de surseoir à sa participation au Dialogue national. Les deux premières formations politiques appartiennent à l'Union pour la Tunisie et les trois se rejoignent au sein du Front du salut. Les divisions et sous-divisions se recoupent, sur fond de mésententes cordiales et de schismes réels. Cela confère à notre scène politique son caractère inachevé et provincial. L'esprit de clocher et les atavismes tribaux y sévissent. Cela confine au syndrome de l'inachevé. Entre-temps, le commun des Tunisiens est aux prises avec les urgences vitales et leur cortège de ressentiment et de désespoir. Le flou des perspectives politiques en rajoute à son désarroi.