Par Soufiane BEN FARHAT Les observateurs s'interrogent : le Dialogue national entame-t-il cette semaine sa dernière ligne droite ? En d'autres termes, dans les jours qui viennent, ça passe ou ça casse ? La situation de la Troïka gouvernante est paradoxale. D'un côté, elle s'agrippe au pouvoir, au point que le Dialogue national en est réduit à faire du surplace. De l'autre, plus son pouvoir perdure, plus sa légitimité, voire sa crédibilité, s'en retrouve profondément affectée. Face à la stagnation politique, le commun des Tunisiens campe une double posture. En premier lieu, il est écœuré par les manœuvres politico-politiciennes. Il lui semble que de faux conciliabules président à un monologue maquillé. La tentation est grande de considérer tout ce beau monde — pouvoir, opposition et camps alliés compris — comme un lourd fardeau. Sinon l'huile et le rouage du verrouillage des institutions et du blocage des voies de sortie de crise. En second lieu, le Tunisien n'en finit pas de ployer sous le joug de la hausse des prix, des pénuries et des spéculations douteuses. Le renchérissement des denrées alimentaires a été de 100 pour cent, aux dires du président de l'Organisation de défense du consommateur (ODC). Les prix des produits de base, eux, augmentent à une allure vertigineuse. En même temps, le dinar est toujours en chute libre, notamment face à l'euro et au dollar. C'est dire si, de guerre lasse, les gens n'en arrivent pas à se demander si les motivations réelles des politiciens ne sont pas les privilèges, les dignités et les prébendes. Tout ce qu'offre l'occupation exclusive, voire l'accaparement des fauteuils et sièges. Et puis la crise de confiance n'est guère l'apanage d'un seul camp. Certes, ceux qui occupent les artères du pouvoir sont plus exposés au ressentiment que les autres. Mais le prolongement de l'issue de crise entache l'opposition elle-même. Aujourd'hui, la situation est telle que c'est la guerre de tous contre tous. Pouvoir et opposition sont aux prises, certes. Mais la majorité gouvernementale elle-même semble divisée. Les partis composant la Troïka subissent les contrecoups pervers des divisions, des dissensions et des désertions. Ils se chamaillent de surcroît entre eux. Les dernières passes d'armes publiques entre de hauts dirigeants d'Ennahdha et du CPR en disent long là-dessus. Côté opposition, on n'est guère mieux loti. Partout les lézardes dans l'édifice, les craquelures et les équilibres fragiles. Finalement, tel est pris qui croyait prendre. Se cramponner au pouvoir, quel qu'en soit le prix, s'avère particulièrement coûteux. La Troïka gouvernante le constate à ses dépens. A ses risques et périls aussi. Lors des prochaines élections, les préjugés favorables qui ont été de mise à la veille des élections du 23 octobre 2011 ne seront plus opérationnels. Le vote sera au moins un vote-sanction, au plus un vote utile. Et dans les différents cas de figure, le poids du vécu sera pris en compte. Les élections, ce sont des enjeux et des valeurs. La classe moyenne, par essence flottante et volatile, du point de vue des choix électoraux, risque d'être fortement mobilisée. Elle est en effet touchée doublement, dans son pouvoir d'achat et dans son mode de vie. Achever le Dialogue national cette semaine pourrait être salvateur, même si cela serait dans les temps additionnels. La nouvelle loi de finances risque d'être catastrophique et de pourrir davantage la donne économique et sociale. Et les mouvements sociaux escomptés pourraient en coûter beaucoup aux gouvernants. Les clignotants sont déjà au rouge. Tout le monde est prévenu.